Tristan Félix, Tangor

Marche à suivre et pas de danse

Pour Tris­tan Félix, la poé­sie est un tango argent teint. Pour autant, celle qui s’y livre n’a pas des che­veux blancs coloré au bleuet. Et sa musique n’a rien d’une bluette.
On est côté milanga dans les bouges de Buenos-Aires et ses quar­tiers du bord. On n’y roule pas for­cé­ment des galoches sur des men­tons de même type.

Dans cette poé­sie des ruelles il n’existe nulle impasse au fond des enfers ou des ter­riers.  Tris­tan Félix rend à la langue poé­tique la saveur du fruit défendu et ses grades de déso­béis­sance . Elle res­taure ses failles jusqu’au sein des mots qui s’ouvrent à l’occulte et loin de tout dan­dysme.
L’auteure refuse tout maquillage et pré­fère la peau rouge et vive. Elle déve­loppe ici une suite d’errances à bord du vais­seau fan­tôme de la langue. Celle-ci est à la dérive — en actes et en pré­ci­sions “théo­riques” - sur une mer grosse et cha­hu­tée par des épaves qui flottent encore.

Les mots se font l’écho d’un chaos de l’expression, d’une conscience fêlée de sa déshé­rence. Et ce avec nulle com­plai­sance popu­liste envers l’appauvrissement et la dis­pa­ri­tion des langues. Et tout autant, nulle rage contre la lèpre des lettres, mais une per­cep­tion tour­men­tée.
La poé­sie, c’est ne plus savoir si nous exis­tons depuis tou­jours ou depuis notre nais­sance. C’est aussi ne plus se sou­ve­nir de Dieu ni connaître si nous fûmes aurochs sur la paroi d’une grotte. C’est encore igno­rer si la sage-femme qui nous mit au monde se ron­gea les ongles avant et s’il existe chez Schu­bert une hui­tième symphonie.

C’est ne plus se sou­ve­nir de la cou­leur d’une voi­ture ou du che­val d’Henri IV ou du reste. Même pas d’un livre de Georges Pérec. En consé­quence, écrire c’est cares­ser l’en-dedans du réel auquel on n’a plus accès sous pré­texte que nous aurions cessé d’être des bêtes. C’est culti­ver l’ igno­rance de d’où l’on vient pour mieux men­tir vrai et creu­ser notre tombe puisqu’on n’en verra jamais l’intérieur.

C’est enfin ini­tier la langue à ce qu’elle ne dit pas pour effa­cer les signes et remuer le fond sans battre le bol mais la crème.
Pen­dant ce temps, sur un vieux tourne-disques, Car­los Gar­del mène la danse des ombres et des vivants.

jean-paul gavard-perret

Tris­tan Félix, Tan­gor, pré­face de Domi­nique Pres­chez, PhB Edi­tions, Paris, 2020, 76 p. — 10,00 €.

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Filed under Chapeau bas, Poésie

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