Comme l’explique l’un des commentateurs avec lesquels l’auteur dialogue dans le complément de cette édition augmentée, Dire le monde est l’ouvrage fondateur de la philosophie personnelle de Francis Wolff.
On peut ajouter que s’il n’avait écrit que ce livre, en matière de philosophie générale, cela aurait suffi pour qu’on le classe sans hésitation parmi les grands philosophes.
Le lecteur qui n’est ni étudiant, ni professeur de philosophie, recherche normalement, dans ce domaine, des ouvrages qui puissent, d’une part, l’aider à réfléchir sur l’homme et le monde humain, et d’autre part, l’aider à comprendre l’ici-et-maintenant. Dire le monde satisfait cette double attente, d’autant mieux que les annexes de sa nouvelle édition contiennent des résumés et des commentaires des autres textes importants de l’auteur.
Quelle est la base de sa théorie ? L’idée que “c’est le langage qui fait du réel un monde“ (p. 12), et que “dire le monde, c’est parler des choses, mais aussi en parler à quelqu’un“, d’où découlent deux façons complémentaires de “dire“ : la structure prédicative (comportant un sujet et un prédicat, en d’autres termes, la chose dont on parle et ce qu’on en dit) et la structure indicative (on parle à la première personne du singulier ; un interlocuteur est toujours présent, implicitement ou explicitement) qui “nous permet d’agir dans le monde“ (p. 14).
Le lecteur qui trouverait que cela ressemble à de la linguistique, ou que c’est trop abstrait, n’aura qu’à se plonger dans le texte pour être détrompé. En fait, Francis Wolff explique, illustre et développe ses idées avec une grande clarté, et en les reliant toujours à la réalité empirique telle que chacun la connaît. Certains de ses exemples sont cocasses (il a un faible pour les roses et les lapins), d’autres relèvent du fait divers ; dans tous les cas, ils permettent de passer avec aisance d’une étape du raisonnement à une autre.
Au fil des chapitres, il est question non seulement de la métaphysique et de la méthode critique que l’auteur lui substitue, mais aussi d’éthique, de responsabilité personnelle, et de nombre d’autres choses qui concernent chacun, y compris de la tendance actuelle à confondre les discours juridique et moral. L’analyse de la différence entre le crime ordinaire (égoïste) et le crime contre l’humanité (servile) st particulièrement remarquable.
En un mot, s’il fallait choisir un seul volume pour le recommander à tout lecteur intéressé par la philosophie contemporaine, ce serait celui-ci.
agathe de lastyns
Francis Wolff, Dire le monde, Fayard, coll. Pluriel, juin 2020, 595 p. – 12,00 €.