Deux corsaires pour rois fainéants
Francis Bonnenfant (aka Charles Dickens) et Thomas Loisif (aka Wilkie Collins) ont écrit en 5 articles formant les chapitres d’un petit chef d’oeuvre pour “Household Words”. “Les pérégrinations Paresseuses” de tels apprentis oisifs sont tout simplement géniales par l’humour des propos.
Les deux héros découvrent par assauts de fainéantise une Angleterre profonde dont l’évocation est d’une incroyable fantaisie comique explosive.
Collins (à son époque écrivain à succès à la vie compliquée et c’est un euphémisme) est moins connu que Dickens mais les deux font la paire. Au motif illusoire qu’ils ne sont pas pressés, leurs doubles se mettent à l’ouvrage tant la conception de l’oisiveté est chez eux si imparfaite.
Mais c’est ce qui fait saliver le lecteur dans ce sel de la flemme.
Tout amateur de plaisir de lecture s’arrime aux périples des “performers” au milieu des trains, auberges et autres massifs centraux ou périphériques (du moins ceux recherchés parce qu’il n’existe pas “le sentiment malsain d’avoir quelque chose à faire”) dans la perfide Albion qui en prend pour son grade.
Sensibles à tout ce qui s’y passe en industrie ou élevage et entre léthargie et folie, les compères mettent l’Ile à l’envers. Les descriptions sont magiques et il se peut bien que la créatrice de Harry Potter ait pu puiser dans les sauteries des polissons lucides de quoi polir son propre imaginaire à la crème anglaise.
La dérision est toujours ici au service d’une vérité pour décrypter ce qui arrive. Face aux monstres à vapeur des rails s’élèvent des “locomotives humaines aux mines fripées” qui permettent aux auteurs d’embrayer sur des visions pré-apocalyptiques (p. 77) tout en restant de bons mangeurs de crevettes.
Noblement empressés de ne rien faire, les deux épigones caressent le devoir désintéressé (ou presque) d’offrir ce que l’on pourrait prendre pour un conte mi-épique mi-sardonique. Il l’est certainement. Mais bien plus encore. Existe là une invitation à paresser avec les auteurs mais tout autant au voyage.
A l’heure des confinements et pour éviter les risques de contamination, le virus du rire des deux britanniques reste le plus sûr onguent et la tentation à laquelle il est bien de sacrifier. Le chant du cygne du monde reste par ces rouges-gorges de la meilleure engeance. Ils quittent parfois l’humour pour la noirceur mais ce n’est toujours que partie remise : chez eux, la satire demeure le plus sérieux des divertissements.
Chacun ne pourra se mettre à table avant d’avoir achevé un tel repas de l’esprit. Seul le “gâteau de la mariée” que nos deux guides sont obligés de manger demande une “remarquable performance”.
Preuve que tels apprentis ont, non seulement du pain sur la planche, mais du pudding aussi. Le leur, on en redemande : “Garçons ! l’addiction !”
jean-paul gavard-perret
Charles Dickens & Wilkie Collins, The Lazy Tour - Les pérégrinations paresseuses de deux apprentis oisifs, traduit (excellemment) de l’anglais par le collectif “Les inséparables traducteurs”, dir. Annpôl Kassis, Atelier de l’Agneau, St Quentin de Caplong, 2020, 132 p. — 20,00 €.