Éblouissement au sortir d’un confinement obscur.
Teilhard de Chardin
Ce choix de titrer cette chronique du substantif « lumière », me permet de mettre en valeur ce point focal que vise ce texte, la lumière justement, où l’écrivain cherche, au-delà des brutalités subies – lors de sa rétention dans un camp russe notamment –, une terre intérieure, terre originelle intériorisée, son Heimat.
Nathan Katz s’évertue à débusquer le clair, l’élevé, le surplomb, le suspens de l’âme sur les affaires humaines. En ce sens, on pourrait qualifier sa tentative d’hölderlinienne, tentative entachée de moments d’obscurité, sans doute d’angoisse, sinon en défaillant parfois devant la douleur et la souffrance, la perte d’un ami par exemple.
Du reste, ces moments en mode mineur, sont nécessaires au poète pour faire comprendre, pour « poser les valeurs » de sa réflexion — comme on le dit en arts plastiques où les valeurs vont des teintes foncées aux plus claires, des matières maigres vers les grasses -, traverser les affres de sa condition sans abandonner rien au malheur ni à la peine, le tourment ou la détresse.
Au contraire, il prône l’incandescence, veut rassembler coûte que coûte les faisceaux, les javelles de ce feu qui l’habite, pour grandir quoi qu’il en soit dans un jaillissement, une énergie que cette lutte même, justifie et fabrique. Il explore le monde intérieur.
Et cette exploration le ramène à son Heimat chéri, son goût pour sa terre, pour cet endroit fiévreux qu’il porte en lui, ce feu qui le grandit en lui-même, qui dilate son âme, tout en goûtant fortement à la vie. Ainsi, pas d’artefacts, pas d’artifices, pas de mensonges devant ce rayonnement, cette irisation vive qui croît en lui.
Nathan Katz va vers le sommet. Il va au-dedans d’une hauteur sans orgueil, d’un lieu où se raréfient les doutes ou les contraintes, un endroit aérien — tel que le décrit Bachelard au sujet de l’air, monde aérien parfois aussi bien rendu par l’altitude, par la montée que par la chute. Il s’agit de trouver cette brûlure, cette foi. Le poète questionne ainsi sa foi, sa détermination.
Il examine, il désire cette sorte de lampe astrale sans ombre pour en finir pour toujours avec la déréliction, avec la nature anxieuse du croyant, pourrai-je dire. Il faut sans doute en venir à une forme de volonté transcendante pour parvenir à cet idéal.
On oublie en lisant ses poèmes ou sa prose, que l’on se trouve en ce parage presque identique au Dostoïevski du Souvenir de la maison des morts, ou encore au stalag VIII-A où Messiaen composa le Quatuor pour la fin du Temps.
Ah, ressentir en soi les assauts d’une jeune énergie, d’une force jeune et saine qui s’extirpe en se riant de toutes les étroitesses !
ou
Avec recueillement boire encore une fois, l’âme assoiffée,
l’or de ce dernier jour d’automne,
alors pourront venir les tempêtes, les fureurs de l’hiver !
L’âme de l’auteur se joue de la chair, comme le flamboiement se joue de l’ombre, la paix, de la guerre, de l’angoisse, de la puissance d’être. Il faut dire, fête spirituelle, quête d’un ailleurs étincelant, conduite spirituelle. Et cette quête n’est pas facile.
Quelle volonté que de recevoir ce « feu dévorant » dont parle Paul !
Je me bats contre moi-même, je me bats contre ce qui m’habite, je me bats pour conserver la joie de vivre, et je sais que de ce combat-là, je sortirai vainqueur.
Peut-être aurait-il fallu titrer ma chronique ainsi : chercher le haut dans l’abîme, le brillant même au sein de la nuit. Cela aurait indiqué en quoi cette attitude forte porte au débat.
Mais, la lumière est toujours aliénée à l’ombre, elle n’existe qu’en sa relation au gouffre. Nathan Katz en est la preuve.
didier ayres
Nathan Katz, La petite chambre qui donnait sur la potence, trad. Jean-louis Spieser, éd. Arfuyen, 2020 — 16, 00 €.