Les parois de verre de Véronique Sablery
Véronique Sablery, quand elle rencontre un volume, le photographie mais non pour l’emprisonner : elle le saisit en tous ses angles pour tenir compte des ombres portées et libérer les formes de leurs limites.
Elle obtient ainsi des familles d’objets, des lignées de formes. Avec des pans de verre subtilement jaunes aujourd’hui.
Elle fabrique au fil du temps un théâtre optique qui brouille la trivialité pour lui soutirer du sens comme dans un vivier et une ménagerie de verre. L’apparition des formes photographiées est montée en volumes.
En prenant de “l’épaisseur”, la forme créée est confrontée à l’originale photographiée en une sorte d’anamorphose.
Cet enchaînement de la forme photographiée en passant par sa réalisation en volume se fond dans les générations d’ombres portées. Et cela s’avère être souvent la méthode de la créatrice. Et ce en différentes étapes et périodes.
C’est toujours une tentative répétée de dépasser la réalité pour la construire autrement, quel que soit le sujet. Véronique Sablery double le réel en inventant ses propres règles. Elle crée sinon un détachement du moins un écart essentiel.
Non pas et comme disait Bergson parce que “les artistes naissent détachés” : ici, d’autres impératifs dictent la vision de la réalité.
Peu à peu, du réel l’artiste ne cherche que la beauté et la couleur. Et avec ses propres “armes” elle devient la descendante de Seurat, de Carl Andre, de Markus Raetz voire d’un Rothko tout en ne cherchant en rien le détachement d’un certain sublime — même si ce mot est désormais honni.
Véronique Sablery se fait l’employée de son travail de construction d’équilibre. Et lorsqu’elle rencontre une image — quelle qu’en soit la nature -, elle veut lui redonner son volume car elle la ressent comme emprisonnée (à l’image des femmes de la prison de Rennes avec lesquelles elle travailla).
C’est une manière de plonger à la recherche de l’inconnu comme des inconnues. N’est-ce pas d’ailleurs le perpétuel mouvement de va-et-vient des contraires ? C’est aussi une nouvelle version de l’infra-mince dont parlait Duchamp dans sa recherche de la quatrième dimension.
La part d’inconnu dans le travail de Véronique Sablery n’est que sa quête.
Cette dernière devient analogue à cette pariete di vetro du “perspecteur” qui constitua, bien au-delà d’un simple instrument du réalisme représentatif, la condition de possibilité de l’invention d’une géométrie voire et avec elle de la raison et du sujet modernes.
L’héritière directe de l’espace galiléen puis newtonien accomplit de la sorte un projet épistémologique : la constitution d’un système de représentation et de transmission qui n’a plus besoin d’occulter le référent dans un seul système de signes.
Existe donc la mise en revers de l’abstraction dans une consistance plus ou moins défaite qui tient désormais à l’enchaînement des relations signifiantes dans la surface et à travers elle.
Ce qui est inventé est non un “tableau” mais sa succession de perspectives qui ne sont plus seulement euclidiennes.
jean-paul gavard-perret
Véronique Sablery, Subtilement jaune, exposition, Galerie des Sens, Caen, Juillet & Août 2020.