Eminent spécialiste de l’art, dans ce texte fascinant et ironique Jean Frémon renouvelle à sa manière l’art par sa propre “visitation” d’une scène inaugurale et qui traverse l’histoire de la peinture sacrée : «Il y a bien un peintre qui le premier a décidé de peindre Jésus nu et il y a à cela des raisons sérieuses et c’est de cela que je parle. Et je crois fermement que c’est bien dans l’entrejambe de l’enfant que le Roi regarde sur un grand nombre d’Adoration des Mages de la Renaissance».
D’où un texte qui faisant suite au Double Corps des images montre toute l’ambiguïté de la figure christique première dans la nativité eu égard à l’identification des foules et des rois.
La nativité de Friedrichsafen et la Nativité dans Les Très Riches Heures du duc de Berry et quelques retables du XVème siècles sont les premiers exemples attestés de la représentation de l’enfant-roi nu.
Soudain les artistes — bien avant même que l’art se pense comme tel dans l’art moderne et contemporain (à savoir figurer-défigurer) — ont osé produire une image en laissant visible l’illusion de la vie tout en faisant éclater le sublime d’une vibration lumineuse de la nudité divine.
Existe donc un rapprochement particulier que l’auteur illustre sous forme de fiction : “Une grande Nativité d’un seul tenant, avait dit le chanoine, la mode n’est plus aux retables historiés.”. Et l’auteur de raconter ce que le demandeur réclame à l’artiste : “Ce n’est pas au nombre de chevaux ou de chameaux que l’on comptera votre écot, mais à la manière dont vous saurez rendre visible la divinité incarnée.“
Et l’auteur ouvre superbement ce déplacement ponctué ici par la force et l’ironie bienvenue des dessins de Bourgeois.
Et soudain une vision bouge pour un règne particulier : le nu n’est pas chose vulgaire mais devient un symbole de la grâce parfois hautaine, distante, comme il sied à un Dieu mais qui soudain consent à se montrer dans le plus simple appareil.
Ici, il fait le jeu d’un rapprochement où tant de croyants purent trouver un miroir. Il allait entraîner la peinture vers de nouveaux territoires.
La magie du nu devint le moyen de donner au mystère de l’image une proximité.
S’ouvrait par lui l’idée de la supériorité de la représentation face au réel mais à travers lui et non seulement par la narration iconique éthérée suggérée et suturée par les religieux.
jean-paul gavard-perret
Jean Frémon, Naissance, Dessins inédits de Louise Bourgeois, Fata Morgana, Fontfroide le Haut,2009, 48 p.