Le 11 novembre 1918 rien n’est réglé, rien n’est joué. L’armistice signé est vide et les véritables combats diplomatiques ont déjà commencé. Ce soir-là, sur le balcon du Grand Hôtel de la place de l’Opéra, devant la foule en liesse, Clemenceau est perdu dans de sombres pensées.
Le matin, n’a-t-il pas confié à son chef de cabinet militaire : « Nous avons gagné la guerre, et non sans peine, maintenant il va falloir gagner la paix, ce sera peut-être encore plus difficile… surtout avec nos Alliés ! »
Deux messies ont émergé, l’un à l’Ouest, l’autre à l’Est : Wilson et Lénine. Ils veulent imposer leurs vues, la paix universelle pour le premier, une société sans classes pour le second.
Wilson défend le concept encore très flou, en 1918, de la Société Des Nations (SDN), l’ancêtre de l’ONU. Il a également élaboré un programme en 14 points qui enthousiasme une large part de la population de l’Europe de l’Ouest.
Lénine, dans une guerre civile, met en coupe réglée tout un peuple et prépare l’émergence d’un des pires tyrans que la Terre ait porté.
Mais, si les armes se sont tues à l’Ouest de l’Europe, ce n’est pas le cas en Europe de l’est et orientale. L’empire austro-hongrois a volé en éclats et, de la Baltique à la mer Noire, les embrasements continuent à faire parler la poudre. Après la Pologne, la Grèce, la Russie, la Turquie de Mustafa Kemal, bientôt nommé Atatürk, avance ses pions avec bonheur pour le plus grand malheur de certains peuples.
C’est le génocide arménien, c’est celui des chrétiens syriaques et des grecs de la région de Trébizonde…
Avec ce livre, Jean-Yves Le Naour donne une vue générale de cette période qui ne réglera rien si ce n’est installer les fondements de la Seconde Guerre mondiale. Un ouvrage qui expose les faits dans leur réalité, sans parti pris, avec un souci constant d’impartialité. Il explicite les enchaînements, les revirements, les arrière-pensées, les coups bas, les traîtrises. Et ils sont nombreux, très nombreux.
Ainsi la France sera victime de ceux des États-Unis et de l’Angleterre. La perfide Albion a fait des siennes une fois encore. En effet, Clemenceau s’est heurté à la mauvaise volonté allemande soutenue par Wilson et par David Lloyd George, ce diplomate britannique qui ne voulait pas d’une France trop forte, aux ambitions planétaires des Américains, aux conséquences de la révolution bolchevique.
Avec 1919–1921 sortir de la guerre, l’historien propose une vision globale de la sortie de la Première Guerre mondiale, détaillant les tractations qui menèrent à la signature du traité de Versailles le 28 juin 1919 où la grande perdante fut la France.
Il ne faut pas oublier que l’Allemagne avait gardé tout son potentiel économique car le conflit n’avait pas détruit son territoire alors que tout le Nord et l’Est de la France ne sont que ruines !
Mais, l’historien ne se départit pas de son sens de l’humour et éclaire les sombres réalités qu’il décrit. Ainsi cette formule lorsque Clemenceau ambitionne de détruire la puissance allemande, de retrouver le morcellement prébismarkien : “La France aime tellement l’Allemagne qu’elle aimerait en avoir quatre ou cinq à sa frontière.”
Jean-Yves Le Naour donne, une fois encore, un ouvrage d’un bel entendement historique avec son sens du récit, la clarté de ses exposés, la qualité d’une écriture rythmée de citations, ponctuée de traits d’humour, un état exhaustif de ces sorties de conflits, n’omettant aucun détail.
serge perraud
Jean-Yves Le Naour, 1919–1921 Sortir de la guerre, Perrin, février 2020, 544 p. – 25,00 €.