Initiation à l’iboga

Par la forêt ori­gi­nelle passe le che­min du ngenza, loin du métro et des cof­fee­shops mais bien au-delà du folklore

Au fil de son tour du monde des tra­di­tions cha­ma­niques, Vincent Rava­lec a fait une ren­contre qui l’a suf­fi­sam­ment mar­qué pour qu’il choi­sisse d’y consa­crer deux livres miroirs : l’enquête “Bois Sacré, Ini­tia­tion à l’iboga” et le beau livre “Ngenza, Céré­mo­nie de la Connais­sance” qui asso­cie textes et photographies.

Jusqu’ici, c’était à tra­vers ses romans, ses nou­velles, et tout récem­ment avec son pre­mier long poème, que l’auteur trans­met­tait aux lec­teurs la quin­tes­sence de ses visions. Mais aujourd’hui, pour pré­sen­ter l’iboga, plante sacra­men­telle au centre de la tra­di­tion bwi­tiste, Rava­lec s’est asso­cié à deux jeunes explo­ra­teurs des mythes uni­ver­sels pour pro­duire ce guide d’initiation spi­ri­tuelle au cha­ma­nisme afri­cain, “Bois Sacré”. Mal­lendi, le nganga ins­truit dans la tra­di­tion du bwiti-ngenza, et Agnès Pai­che­ler, par son vaste tra­vail de docu­men­ta­tion, apportent des pers­pec­tives com­plé­men­taires sur cette pra­tique vision­naire ances­trale capable de retrou­ver l’âme au fond du cœur moderne le plus prosaïque.

“Mettre des tech­ni­ci­tés d’hier au ser­vice d’une cer­taine idée de ce que pour­rait être l’homme de demain”

Ce livre est donc com­posé de trois par­ties : tout d’abord, une intro­duc­tion géné­rale écrite par Rava­lec qui s’y montre enthou­siaste tout en sachant pru­dence gar­der. Son point de vue est celui du voya­geur revenu d’un pays peu ordi­naire, et, avec l’humour qu’on lui connaît, il dis­tri­bue, tan­tôt conseil de barou­deur ès psy­cho­tropes enthéo­gènes, tan­tôt mise en garde affec­tueuse au néo­phyte occi­den­tal en quête d’initiation.

On apprend que l’iboga est la racine râpée d’une plante endé­mique du Gabon, la Taber­nanthe iboga, tout d’abord décou­verte par les pyg­mées, et clas­sée patri­moine natio­nal par le pré­sident Omar Bongo. Puis­sante éma­na­tion de la nature, c’est par la forêt ori­gi­nelle que passe le che­min du ngenza, bien loin du métro et des cof­fee shops mais bien au-delà du simple folklore…

Le rituel mys­tique, pra­ti­qué depuis des mil­lé­naires par les membres des groupes bwi­tistes afri­cains s’est fina­le­ment ouvert aux occi­den­taux. Res­pect et ouver­ture d’esprit sont bien la moindre des poli­tesses de la part du futur ini­tié qui a choisi de s’écarter du rôle de simple tou­riste pour prendre une part active aux veillées.

La seconde par­tie du livre figure un bref entre­tien où Mal­lendi, cha­ris­ma­tique nganga qui a ini­tié Rava­lec, répond aux ques­tions d’Agnès Pai­che­ler. Sont évo­qués, entre autres, son enfance au Gabon, son iti­né­raire dans la phi­lo­so­phie de vie du bwiti, et les moti­va­tions thé­ra­peu­tiques qui l’ont amené à soi­gner des gens, aussi bien au Gabon qu’en France. Comme Rava­lec, le tradi-praticien, estime que le fait de tis­ser un pont entre ce savoir tri­bal com­plexe et le monde moderne enri­chira tout sim­ple­ment l’être humain.

“Eta­blir une pas­se­relle entre des sys­tèmes cultu­rels à priori éloignés”

Si les effets de l’iboga, consom­mée dans le cadre de la céré­mo­nie bwiti-ngenza sont indi­ci­ble­ment pro­fonds, la ter­rible amer­tume, la vio­lente réac­tion vomi­tive et la phase d’angoisse préa­lable aux visions exigent dès le départ une réelle moti­va­tion de la part du can­di­dat. Il est clair que l’iboga ne sera jamais une drogue récréa­tive, mais il est utile de le pré­ci­ser, et même de le rap­pe­ler régu­liè­re­ment au long de l’ouvrage car la confu­sion est pos­sible en France, dans un pays qui englobe tous les psy­cho­tropes en un pro­blème unique qu’il traite par la répression.

Dans la troi­sième par­tie qui repré­sente plus des deux tiers du livre et en consti­tue la par­tie scien­ti­fique et eth­no­lo­gique, Agnès Pai­che­ler expose dans le détail les don­nées sur la plante, la culture et les rites bwiti, le contexte géo­gra­phique et his­to­rique, le fonc­tion­ne­ment sur le cer­veau, etc… D’autre part, elle ana­lyse les enjeux poli­tiques et com­mer­ciaux qui ont jusqu’ici par­ti­cipé au malaise médi­cal face à l’ibogaïne, un des alca­loïdes prin­ci­paux de la plante, isolé depuis le tout début du ving­tième siècle, et à ses acti­vistes, d’Act Up à Lotsof.

Selon des études cli­niques menées plus ou moins en paral­lèle, le prin­cipe actif de la plante et son méta­bo­lite don­ne­raient pour­tant des résul­tats quasi mira­cu­leux dans le trai­te­ment de la dépen­dances aux drogues dures et comme agent de psy­cho­thé­ra­pie accé­lé­rée. Bien qu’issues de la même base, iboga et ibo­gaïne sont deux choses dif­fé­rentes, comme peuvent l’être des expé­riences vécues dans des envi­ron­ne­ments cli­niques ou rituels.

Consé­quence néga­tive de la mon­dia­li­sa­tion, les tra­di­tions mino­ri­taires sont en dan­ger d’être déna­tu­rées quand elles ne risquent pas la dis­pa­ri­tion pure et simple, mais l’autre face posi­tive du pro­ces­sus qui fait de la pla­nète un vil­lage, c’est la nou­velle dis­po­ni­bi­lité de savoirs jusqu’alors secrets qu’acceptent de par­ta­ger les sor­ciers. Avec des livres comme ce “Bois Sacré”, des repor­tages comme celui de Gil­bert Kel­ner dif­fusé sur France 5, le lec­teur sans pré­ju­gés découvre une plante de gué­ri­son accom­pa­gnée d’une science ances­trale qui relie les cultures et les peuples en per­met­tant à l’homme de retrou­ver ses racines universelles.

stig legrand

   
 

Vincent Rava­lec, Mal­lendi, Agnès Pai­che­ler Bois Sacré, Ini­tia­tion à l’iboga, Au Diable Vau­vert, avril 2004, 327 pages — 21,00 €.

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