Didier Ayres, Ville écrite, village écrit

Ville écrite, vil­lage écrit 

image ci-dessus : Photo d’André Ker­tész tirée de l’exposition « Mar­cher dans l’image » à la Mai­son Dois­neau à Gen­tilly (janvier-février 2020) / © André Kertész

En regar­dant empi­ri­que­ment de quoi sont consti­tués à la fois ma vie et mon tra­vail, je crois que l’on peut y dis­tin­guer un peu d’originalité. Non pas dans ma repré­sen­ta­tion sociale ou lit­té­raire — je ne sau­rais en déci­der — mais par une simple dis­po­si­tion géo­gra­phique qui m’écartèle entre une ville et un vil­lage. J’habite à la cam­pagne et la ville me manque ; je suis à Paris et mon vil­lage me manque.
Car c’est tou­jours vers la grande ville que je me tourne, tout autant lors de séjours pari­siens — où je rêve vio­lem­ment et dont l’épicentre est là, tout à fait dans cette rue que je tra­verse pour aller à la Place des Vosges par exemple — que dans la calme habi­ta­tion à la cam­pagne — si calme par­fois que son silence confine à la ner­vo­sité.
C’est cette ten­sion qui m’est deve­nue un besoin, un goût, un salut.

À mes yeux, Paris est une ville écrite et que l’on ne cesse de lire. Aussi bien dans la rumeur du Wepler que dans celle du Café des édi­teurs, qui parle la langue d’une haute civi­li­sa­tion, et dès lors le regret presque mor­dant d’être séparé de cette ville où je suis né, me fait recon­naître son per­fec­tion­ne­ment, son impres­sion de trop plein, son éter­nité vola­tile.
Pour moi, écrire pro­voque l’exigence, la tenue, le sur­plomb, voire une intel­li­gence unique et néces­saire pour sur­vivre dans ce milieu urbain, saturé, enivrant. De plus, comme il faut que je voyage pour atteindre la capi­tale, et arri­ver à la gare d’Austerlitz, ce mou­ve­ment est pro­pice à la cou­pure, à redé­cou­vrir des lieux et recréer des liens, ima­gi­ner, ou plu­tôt à rem­plir un réper­toire ima­gi­naire, d’images qui soudent, qui cousent ces deux par­ties de ma vie, ville et vil­lage : ville écrite, et vil­lage écrit.

Pour se rendre à Aus­ter­litz je dois d’abord par­tir, quit­ter ici, s’éloigner de mes livres, de mes papiers, de la conti­nuité lente des jours. Et là com­mencent la divi­sion, l’étirement, un véri­table éré­thisme. Mais, il reste ici, lors de ce départ, à nou­veau, ce que j’appelle, à cause de mes livres, de mes manus­crits, de ma rela­tion à la radio, des films en Digi­tal Ver­sa­tile Disc qui font la tota­lité de mes diver­tis­se­ments, ce que je nomme un nid d’aigle.
Dans ce séjour, c’est le retrait, l’avatar de ma vie lit­té­raire, son secret peut-être. Car pour finir, c’est à Saint-Junien que j’écris. C’est là que je pro­duis. Je n’écris pas à Paris ; je n’ai pas le temps, et puis il faut que je reprenne souffle après ces jours à la cam­pagne en apnée. Je ne peux rien pro­duire au sens propre en atten­dant dans une bras­se­rie, ou en déri­vant comme un sur­réa­liste dans le tour­billon des rues et des rencontres.

Néan­moins, j’apprends encore. Paris m’instruit de Saint-Junien. C’est grâce à cela que je déam­bule dans la nuit au milieu de rien, dans des allées, des rues, des ruelles, des places tou­jours vides, dans des par­cours qui se répètent. Saint-Junien est noc­turne.
Mais je ne donne aucun conseil, aucune direc­tive pour affir­mer qu’il s’agit de la seule façon de créer.

Que restera-t-il de cette double humeur ? de ces doubles topo­gra­phies ? Je ne sais pas.
Sans doute, la marque d’un déchi­re­ment. Ali­menté par le sur­croît de civi­li­sa­tion d’un côté, et du presque-rien à peine pos­sible de l’autre. 

Didier Ayres

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