Pierre Vinclair, La Sauvagerie

Contre l’agonie en gestation

Fidèle à la col­lec­tion “Bio­phi­lia” de Fabienne Raphoz, ce livre pro­pose une approche sou­vent inci­sive et drôle du temps afin d’éclairer ce que devient la nature et les moyens de la pré­ser­ver.
Le poète et phi­lo­sophe le pro­pose en 12 ensembles d’un total de 500 hui­tains excen­triques en écho à la Délie de Mau­rice Scève.

Le poète mêle les siens à ceux de divers poètes contem­po­rains, dont cer­tains en anglais que le poète tra­duit. Il en a lui-même écrit en anglais et les offre avec leur ver­sion fran­çaise là où il renou­velle une forme ancienne que l’on retrouve néan­moins et par­fois chez Bau­de­laire, Cor­bière, Que­neau, Bonnefoy.

Vinclair y trouve une para­doxale liberté afin de prou­ver com­bien notre pla­nète est en train d’être détruite par ses habi­tants. Son livre est donc une mise en garde contre ce mas­sacre. Et ce même si la poé­sie n’y peut pas grand chose…
Elle peut “sim­ple­ment” par sa langue chan­ter la sau­va­ge­rie propre à la Nature, d’où son affir­ma­tion : « Je bâcle des poèmes célé­brant le Sau­vage par­tout où il résiste encore ».

Face à un tel pro­blème le moindre que peut la poé­sie est de lui redon­ner une “image” pas­to­rale contre l’agonie en ges­ta­tion. Un tel chant, « si l’on peut appe­ler ça chant » pré­cise l’auteur — en rame­nant à la tra­di­tion, veut s’élever contre l’asphyxie ambiante là où tout dérive “sous un smog de spams, sel­fies et poèmes”.
L’auteur, avec iro­nie, remet en selle — si l’on peut dire et entre autres — la vache appri­voi­sée, un oiseau dis­paru (le dodo), la mouette. Le tout en un retour au passé du poète (il se sou­vient ici de son enfance) mais aussi un appel à l’avenir.

Entre sa propre vie et celle des espèces dis­pa­rues, Vin­clair fait la liste des végé­taux et des ani­maux effa­cés de la croûte ter­restre.
Leurs noms sont décli­nés en latin comme dans les trai­tés scien­ti­fiques, comme s’il n’était plus pos­sible de les dési­gner par leur accep­tion cou­rante eu égard à un monde qui n’est plus.

Quant aux poé­tesses et poètes invi­tés, ils viennent appuyer les affir­ma­tions de Vin­clair. Ses propres dizains revêtent une absence de régu­la­rité affir­mée comme s’il s’agissait de rap­pe­ler au sein d’une forme fixe l’exubérance du vivant. Et ce avec des effets farces plus ou moins appuyés aux grands vers de la poé­sie fran­çaise. « J’ai moins de sou­ve­nirs que si j’avais / passé au pub dix ans”, “bibe­lot d’inanité abo­lie” rap­pellent (lour­de­ment ?) Bau­de­laire et Mallarmé.

C’est là peut-être la limite d’un livre qui se veut trop malin en jouant de divers codes réfé­ren­tiels, le tout en une « joie d’enfant » reven­di­quée par le poète.
La mouette entraîne une allu­sion à Tche­khov, roc rime avec croc et le calem­bour n’est jamais loin avec des « vers de terre à pied » et autres bimbeloteries.

Est-ce que cela suf­fit à secou­rir les espèces ? Le doute est per­mis même si l’ensemble est sym­pa­thique.
L’auteur dresse moins un ter­rain de com­bat que de jeu. Et la ques­tion éco­lo­gique ne finit-elle pas en billevesée ?

lire un extrait

jean-paul gavard-perret

Pierre Vin­clait, La Sau­va­ge­rie, Edi­tions José Corti, oll. Bio­phi­lia, 2020, 336 p. — 22,00 €.

Leave a Comment

Filed under Poésie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>