Du roman intérieur qui habite chaque homme
Gilles Heuré est grand reporter mais avant tout un auteur trop méconnu. Son roman L’Homme de cinq heures (Viviane Hamy, 2009) est passé inaperçu. Il méritait bien plus. Auteur d’un livre majeur sur un autre méconnu (Gustave Hervé), il a aussi édité le volume Quarto des œuvres de Joseph Kessel (Gallimard, 2010).
Au moment où “Jef” rentre dans La Pléiade, Heuré écrit “l’Album de la Pléiade” qui lui est consacré.
Deux hommes libres, fraternels et tourmentés s’y rejoignent. Kessel y revit à travers le texte et un corpus d’images qui rendent toute la complexité d’un auteur qui atraversé un siècle tourmenté.
Celui qui a “vécu ses enquêtes comme des romans et donné à ses reportages la vie qui anime la fiction” se retrouve dans ses combats et ses traversées — de l’Irlande fracturée à l’Afghanistan en charpie.
Derrière ces “aventures”, Kessel a toujours su montrer, en humaniste, le roman intérieur qui habite chaque homme.
L’auteur apparaît dans ce superbe album par-delà sa légende en une sorte d’intimité parfois méconnue.
Au delà des clichés — le Russe pleurant d’émotion aux chants tziganes ou brisant son verre d’un coup de dents dans un cabaret — les images “classiques” et stéréotypées s’effacent au profit d’une réalité faite de contrastes chez ce désespéré habité de drames et de culpabilité.
Le géant physique est revu et corrigé à travers une iconographie remarquable et un texte du même ordre. S’y découvre comment Kessel a su transcender ses cauchemars nourris (aussi) de ce qu’il a vu.
Face à une humanité tombée très bas, il a prouvé combien un nombre illimité d’ancêtres de diverses racines implique une progression en soi-même et pour le monde, loin des principes naturels de mélancolie et d’abandon.
jean-paul gavard-perret
Gilles Heuré, Album Kessel, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, 2020, 256 p.