Nature du sacré au milieu du sacré ou Croître
image ci-dessus : Basilique du Sacré Cœur de Montmartre (1875 –1960), détail.
Pour ne pas rester figé sur les convictions très personnelles du croyant, de la prière ou de la lecture du Livre, je voudrais agrandir la question du sacré, ou la détourner, afin d’imaginer une dialectique entre la créature et la nature.
Ce dialogue riche aboutit sur des sujets très amples : la connaissance, l’art, la religion, et ainsi enrichit cette notion première — qui ne se partage donc pas uniquement au sein des églises, des lieux de culte.
Du reste, il est possible de prendre pour sacrée la nature, et surtout en elle le secret de la croissance. Car son expansion, sa beauté, son mystère interrogent, et font d’elle un endroit bouleversant et lent, profus dont l’évolution est invisible, cachée.
En retour, cette présence est le sacré le plus parlant, le plus exprimé, le plus évident, comme si le travail cosmologique œuvrait profondément sa puissance, et ouvrageait des objets naturels par une loi ingénieuse, botanique sans fin, hydrologie se poursuivant toujours, géologie traversant le temps, évolution animale en ses variations biologiques.
Mais comment cela croît-il ? Qu’en sait-on ? L’être humain, comme élément actif de la cosmologie, est lui aussi pris par cette puissance d’augmentation, de transcendance, par une énigme lyrique où temps et espace, comme le tilleul ou les eaux graves, endossent la difficile chasuble des arcanes.
La rivière n’est-elle pas celle que traverse Julien l’Hospitalier ? Ce tilleul, l’arbre des Nibelungen ? Et pourquoi ne traverse-t-on jamais eux fois le même fleuve ? Et quel pas franchir pour aller du cosmologique ou cosmogonique ? De la cosmographie à l’étude de la divinité ? La transcendance n’éloigne pas, elle rapproche la création de son tumulte, ouvre des chemins, déchire le ciel pour y trouver des étoiles qui parlent.
D’ailleurs, tout en découle. La langue, comptabilité des grains et des amphores mésopotamiennes, l’habitation de l’été et de l’hiver en maisons rondes ou rectangulaires, les ruisseaux glacés et les crues à la fois forces de vie et de mort, chasse et cueillette - aller comme nomade ou accumuler les vaisseaux de vin, trier l’ivraie, vouer un culte à des grottes.
Passant du ciel au Ciel, des ciels aux Cieux, l’être humain demeure à moitié malaxé par des forces chtoniennes et sidérales, débouchant sur la sagesse, sur l’art, où il exprime dans le cas le meilleur un poème ou un simple morceau de flûte. L’homme, de plus, suit une trajectoire, depuis le début et la cosmogonie, jusqu’à la fin des temps — comptabilisées parfois dans des cycles immenses — et le récit eschatologique. La nature est de tout temps tenue pour mythique, liée à des métamorphoses théogoniques, pleine de la pensée des peintres, des poètes, et surtout de diverses philosophies. Cette nature interroge ce miracle : croître.
Croître est une chose perpétuelle. Qui dure depuis toujours. Qui s’inscrit exactement dans la création du temps et de l’espace, et fait transition, comme le Big Bang est lui aussi une transition d’un univers vers un autre, qui a dû sans doute ajouter cette double qualification des âges et des lieux à un autre univers que l’on devine et sur lequel on spécule aujourd’hui.
Il reste qu’il faut savoir que la croissance en général, sa ténèbre, augmentant depuis la nuit et l’inconnaissable, jusqu’à la presque effrayante poussée sauvage et spontanée des végétaux, est capable de recouvrir Angkor ou qui sait ? les villes que l’on abandonnera dans le futur.
Donc, une grandeur quasi monstrueuse. Et une énigme.
Didier Ayres