Une tragédie et le chef-d’œuvre qu’elle a engendré
En novembre 1817, Théodore Géricault est rentré à Paris après un séjour d’études en Italie. Il veut travailler sur le naufrage de la frégate La Méduse. Deux survivants viennent de publier leur témoignage. Il trouve, dans ce drame, tout ce qu’il cherche pour une œuvre immense, spectaculaire, la violence, la folie… l’espoir.
C’est le 13 juin 1816, à l’île d’Aix, que commence l’embarquement sur quatre navires pour rejoindre le Sénégal afin d’y fonder une colonie. La Méduse est une belle frégate sous le commandement de Chaumareys, un noble qui n’a plus navigué depuis des années. C’est à son bord, outre l’équipage, que prennent place le gouverneur, des civils, un escadron de soldats.
À Paris, Théodore travaille, collecte le maximum d’informations sur cette affaire bien passée sous silence dans la réinstallation de la monarchie bourbonienne. Sa visite au ministère, pour consulter les minutes du procès, alerte beaucoup de monde.
Après un départ chaotique, le convoi a bien du mal à tenir les prévisions de navigation, les vents ne sont pas favorables, un homme à la mer retarde le convoi. C’est pour gagner du temps que le commandant Chaumareys ne veut pas éviter une zone de hauts-fonds. Il n’a pas attendu les autres bateaux.
La Méduse s’échoue sur un banc de sable. Les soldats sont terrorisés. Pour les occuper, le gouverneur Schmaltz a l’idée de faire construire un radeau qui permettra de mettre les réserves et allégera ainsi le navire. Mais ce n’est pas un radeau pour accueillir des hommes.
Théodore Géricault cherche à rencontrer les deux principaux témoins, Alexandre Corréard, ingénieur géographe et Henry Savigny, chirurgien de bord. Il reçoit des menaces à peine voilées, des conseils pour abandonner son projet.
Ainsi, en alternant les recherches du peintre et les différentes étapes, de l’embarquement jusqu’au sauvetage des ultimes rescapés du drame, les auteurs racontent cette affaire qui est devenue si célèbre.
Avec de très nombreux détails, les scénaristes n’occultent aucune des phases de la conception du tableau et de la tragédie sur le radeau.
Ils dépeignent l’atmosphère de cette époque, le retour de la monarchie, les oppositions très fortes entre les Bonapartistes et les Royalistes, les complots et les règlements de compte. Ainsi, Géricault reçoit une aide précieuse de l’Amiral qui estime que cette affaire entache l’honneur de la marine française et veut révéler la vérité. Il juge que Chaumareys est un arriviste de la pire espèce et que son procès a été une parodie.
Les auteurs décrivent aussi la vie familiale de Géricault, sa liaison avec Alexandrine, sa tante qui n’a que six ans de plus que lui, l’arrivée de l’enfant qui va détruire la vie de cette jeune femme.
Jean-Sébastien Bordas assure dessin et couleur. Il offre des planches denses, intenses, mettant en images des scènes fortes, des combats, des affrontements avec un art délectable de la suggestion.
Pour le radeau, il s’inspire de la reconstitution grandeur nature, à partir des plans d’un survivant, qui est exposée dans une cour de la Corderie Royale à Rochefort.
Extrêmement documentés, avec une magnifique reconstitution des parcours, les auteurs donnent un éclairage complet, sur ce drame qui a traversé l’Histoire, sur la création du tableau.
Ils racontent également le chemin de la toile depuis sa présentation au Salon de 1819 jusqu’à son arrivée au Louvre, un parcours plein de rebondissements.
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serge perraud
Jean-Sébastien Bordas (scénario, dessin et couleurs) & Jean-Christophe Deveney (scénario), Les Naufragés de la Méduse, Casterman, juin 2020, 176 p. – 26,00 €.