Fabien Nury & Brüno, L’homme qui tua Chris Kyle

La face sombre, très sombre de l’Amérique 

Fabien Nury est arrivé sur cette his­toire intri­gué par Ame­ri­can Sni­per, le film de Clint East­wood sorti en France en jan­vier 2015. Cette affaire d’un héros légen­daire abattu par un type banal lui revient en mémoire après l’élection de Trump.
Fouillant plus avant, il découvre une his­toire riche en rebon­dis­se­ments de tous genres, une réa­lité presque aussi forte qu’une fic­tion, une his­toire qu’Eastwood ne raconte qu’en par­tie met­tant le pro­jec­teur essen­tiel­le­ment sur le héros.

Chris­to­pher Scott Kyle, le 2 février 2013, est un homme com­blé. Il est l’époux de la belle Taya Renae qui lui a donné deux enfants. S’ils sont eu des jours dif­fi­ciles, ceux-ci sont pas­sés. Finan­ciè­re­ment, il est à l’abri. Son auto­bio­gra­phie a été N°1 des ventes aux USA. Les droits ont été ven­dus à la War­ner pour 1,2 mil­lion de dol­lars. C’est l’acteur Brad­ley Cooper qui est pres­senti pour jouer son rôle. Ce choix le satis­fait car il n’aurait pas voulu : “…d’un traître gau­chiste dans le genre de Matt Damon.

Chris est devenu La Légende aux USA après être ren­tré de la guerre en Irak. Ancien Navy Seal, cette unité d’élite de la marine de guerre des États-Unis, il a été là-bas à quatre reprises comme sni­per. Il est le record­man du nombre homo­lo­gué de tués de toute l’histoire de l’armée amé­ri­caine. Il a enre­gis­tré 160 morts avec témoins mais comp­te­rait, en tout, 255 êtres humains abat­tus.
S’il a, semble-t-il, été atteint du PTSD (Post-Traumatic Stress Dis­cor­der), il s’en est fort bien remis, deve­nant en 2010 l’actionnaire majo­ri­taire d’une entre­prise de sécu­rité pri­vée, la Craft International.

Eddie Ray Rougt a 25 ans. Engagé à 18 ans, c’est un ancien marine sou­mis à un fort PTSD après avoir servi en Irak et après le typhon dévas­ta­teur de 2010 en Haïti, dans le cadre d’une mis­sion huma­ni­taire. C’est à la demande de la mère d’Eddie que Chris et son ami Chad emmènent celui-ci sur un stand de tir pour l’aider à se reprendre.
Il va tuer, ce 2 février 2013, avec une arme de poing, Chris de six balles alors que Chad a droit à sept impacts.

Fabien Nury a sou­haité racon­ter cette his­toire dans une bande des­si­née docu­men­taire, expo­sant les faits, que les faits, lais­sant au lec­teur le soin de se faire sa propre opi­nion, de por­ter son propre juge­ment sur cette affaire. Il expose le par­cours de Chris, ce qu’il a fait, ce qui lui a valu cette gloire, cette renom­mée incon­ce­vable à par­tir d’homicides, les pré­ro­ga­tives qu’il en tire quand, après l’ouragan Katrina, il décide d’aller en Nouvelle-Orléans pour pro­té­ger les popu­la­tions et tuer des pillards. Il abat 32 civils sans être inquiété le moins du monde.
Il brosse le che­min moins flam­boyant d’Eddie, qui sombre dans les drogues, dans l’alcool, qui est hos­pi­ta­lisé régu­liè­re­ment et qui vit pau­vre­ment chez sa mère.

Nury pré­sente l’enterrement, les funé­railles natio­nales, le pro­lon­ge­ment et l’exploitation de la renom­mée du “héros” par la veuve, la réa­li­sa­tion du film, le pro­cès d’Eddie en même temps que la sor­tie du film…
Avec ce récit, le scé­na­riste montre le visage d’une Amé­rique gan­gre­née par l’argent, le spec­tacle, les armes, les médailles, la valo­ri­sa­tion d’une image machiste et d’un patrio­tisme exa­cerbé. Il pointe la face obs­cure de cette société, ce besoin de héros blancs, mais des héros deve­nus fra­giles au point d’être mortels.

Le des­sin si par­ti­cu­lier, si dépouillé de Brüno fait mer­veille pour mettre en images cette his­toire, un tra­vail gra­phique d’une puis­sance nar­ra­tive admi­rable.
Il a mené une minu­tieuse recons­ti­tu­tion, une acti­vité docu­men­taire pour don­ner le véri­table cadre de ce récit.

Avec L’homme qui tua Chris Kyle, les auteurs mettent en lumière la face mal­saine de cette société amé­ri­caine, cette face bien ancienne mais qui n’évolue pas. Eddie est en pri­son à per­pé­tuité sans remise de peine.
Le 28 juillet 2016, Taya Kyle inau­gure le Chris Kyle mémo­rial plaza à Odessa au Texas.

feuille­ter l’album

serge per­raud

Fabien Nury (scé­na­rio) & Brüno (des­sin en noir en blanc), L’homme qui tua Chris Kyle, Dar­gaud, mai 2020, 164 p. – 22,50 €.

Leave a Comment

Filed under Bande dessinée, Chapeau bas

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>