Aimer : caritas, certitudes et incertitudes
image ci-dessus : Guiseppe Maria Crespi, Eros et Psyché, début XVIIIème.
Vaste sujet qu’aimer, à l’image d’un pain de partage qui offrirait un seul terme sémantique pour couvrir une réalité si abondamment répandue parmi la vie des hommes en propre et au milieu de la littérature et des arts. Sujet qui débouche sur une universalité de représentation qui nourrit l’imaginaire, les croyances et les pratiques amoureuses. Du reste, qui déborde sa propre qualification.
Que sais-je de l’éros pour de vrai ? Aimons-nous ? Est-ce un exercice ? Quel risque comporte-t-il, car il s’apparente parfois à un tourment ? À quoi nous conduit-il ? Et même, nous conduit-il quelque part ?
De cela nous savons au mieux que ce qu’en racontent les livres ou en nous rapportant peu ou prou à notre expérience empirique, sans doute partiale et partielle.
La connaissance abstraite acquise par l’intellection, se croise avec ce qui sépare universellement l’amour profane de l’amour sacré.
Pour être plus simple, je dirais qu’au milieu de mon adolescence, qui fut un grand moment de solitude, je pensais que cette solitude vaincue justement m’aurait davantage appris de ma flamme, et que réfléchir par avance à mes sentiments futurs, me donnerait une vision plus complète, mûrie, attendue, pensée, envisagée, plus entière, plus développée, plus grande en un sens. Puis de cette angoisse, car telle était la substance de cette réflexion enfantine pour finir, je suis passé à des relations pulsionnelles, passionnelles, dramatiques et violentes qui ont atteint ma personnalité, voire ma santé.
Il s’ensuivit un besoin de stabilité – tel était mon désir d’adolescent – que je trouvais dans une relation pérenne, à l’image de cette maturation où j’élaborais en esprit une union tout à fait identique à mon ancienne idée, et qui se réalisait quand même en aboutissant à une forme calme en moi-même – sans blessure.
Nonobstant, aimer reste une quête, une recherche, et puisque je parlais de sentiment sacré en introduisant mon texte, cette démarche s’apparente à la poursuite d’un Graal, d’une force, à l’instar d’un Siegfried presque invulnérable, si ce n’est rendu mortel par l’empreinte d’une feuille de tilleul qui le conduira au trépas. Ce penchant a donc deux faces : une grande puissance et une blessure, un désespoir.
Le deuxième ordre canonique, que l’on retrouve explicitement dans un grand nombre de tableaux ou de statues, l’amour sacré donc, ressemble bel et bien à un amour apaisé, vainqueur du temps et de la mort. Ce qui revient à nous faire sentir humains et si périssables, voués à l’empreinte d’une feuille de tilleul pour toute condition. Pourquoi ?
Parce que l’absolue pérennité, le triomphe contre l’incertitude, valorise notre spiritualité, nous porte vers l’autre absolument. Rien de plus universel. Rien de plus parfait. Rien de plus englobant. Rien qui ne se peut vérifier toujours. Rien donc de plus certain dans cette forme charitable de l’amour de l’autre.
Et comme j’arrive à la fin de mon feuillet, je résumerais ce mélange de deux registres du répertoire amoureux, de la passion charnelle à la connaissance théorique, en un mouvement double, ne pas connaître et connaître, en une formule à la limite oxymorique, et tout à fait tautologique : l’existence par l’existence.
Là la leçon fondamentale d’aimer.
didier ayres