Serge Le Tendre a fait ses premières apparitions dans l’univers de la bande dessinée dès 1975 avec des histoires courtes parues dans Pilote et Trousse-Bourin. Quand on évoque ce scénariste, celui-ci est immédiatement associé à Régis Loisel avec qui il a réalisé la célébrissime série de La Quête de l’oiseau du temps.
Mais cette saga, aussi exceptionnelle soit-elle, masque la richesse d’une œuvre éclectique. Si l’héroic fantasy le reconnaît comme un des maîtres du genre, il a œuvré dans presque tous les domaines, du polar noir au thriller, du récit historique à celui d’aventures, du fantastique à l’anticipation…
Il n’est jamais absent très longtemps des programmes de parutions. Pour l’heure, on le retrouve avec Terence Trolley (Bamboo/Drakoo – 10 juin 2020) pour une histoire qui met en scène des enfants surdoués, des enfants qui possèdent des aptitudes, des compétences bien supérieures à la moyenne de la population.
Ce récit conjugue la tension du thriller et des avancées humanistes.
lelitteraire.com : Terence Trolley, le titre de votre nouvelle série, est aussi le nom du héros. Pourquoi ce choix de braquer le projecteur sur cet ancien des Forces Spéciales reconverti en recouvreur de fonds ?
Serge Le Tendre : Petite rectification, ce n’est pas une série, juste une histoire en deux albums.
Quant au choix du protagoniste, j’aime bien les poncifs et ce genre de mercenaire désabusé qui, de retour à la vie civile ne sait pas quoi faire sinon distribuer des tornioles, m’a offert un bon potentiel.
Son oncle, Norton Sidmack, cache deux enfants mutants, aux facultés exceptionnelles. Vous vous êtes déjà intéressé à ce sujet dans L’Histoire de Siloé et, dans un autre contexte, avec Le Projet Bleiberg. Qu’est-ce qui vous intéresse, vous attire dans ce thème ?
Merci de faire référence à ces titres qui, effectivement, ont en commun des enfants justement “hors du commun”. J’avoue l’influence de Stephen King et de Steven Spielberg qui m’ont inspiré il y a fort longtemps mais qui restent toujours présents. Un peu comme le sparadrap du capitaine Haddock, ça colle à la peau !
Au terme de mutant, vous préférez précurseur. Pensez-vous que de tels enfants, qui deviendront des adultes, pourront vivre parmi la population, dans quelques années ?
Mais, cher ami, ils sont déjà là ! Comme dans le film de Carpenter, Invasion Los Angeles, ils attendent leur moment… et c’est pour bientôt, ha, ha, ha !
Vous adossez votre intrigue sur l’idée que le cerveau de nos ancêtres était en phase avec l’énergie électromagnétique présente dans l’univers. L’homme “moderne” a perdu cette possibilité. Est-ce parce que l’humain s’est éloigné de la nature ? A-t-on une idée des raisons de cette perte ?
Sans faire du chamanisme de bazar, oui, la perte de contact avec la Nature y est pour quelque chose. Depuis la nuit des temps le cerveau lui-même a évolué, il s’est spécialisé, il s’est replié sur lui-même et a, en même temps, perdu son ouverture native au monde.
Vous évoquez cette faculté de nos ancêtres en vous appuyant sur leurs réalisations parvenues jusqu’à nous. Trouve-t-on des éléments, des indices, des traces autres qui vont dans ce sens ?
Stonehenge, les alignements mégalithiques, tout ce travail à longue échéance juste en observant le ciel, pourquoi ? Mais pourquoi ? La question reste posée, je n’ai pas de réponse et c’est ça qui est fascinant.
Les fontanelles, ces membranes qui se calcifient à des âges différents de la tendre enfance, pourraient-elle être la porte d’entrée de ces capacités ? Si oui, comment expliquer qu’elles ne fassent plus cet office ?
La réponse est dans le préambule de la question : la porte est fermée !
Vous évoquez l’électromagnétisme comme le promoteur de ces capacités. Certes, il est très présent dans nombre d’applications. Peut-il avoir, à votre avis, une influence forte sur le cerveau ?
La force électromagnétique que j’évoque n’est pas celle de nos actuels outils et gadgets mais l’une des quatre forces fondamentales de l’Univers (les autres : gravitationnelle, nucléaire forte et faible).
La Panaklay, une holding privée, s’inscrit dans la gestion des risques liés à l’accroissement exponentiel du méthane dans l’atmosphère. Elle s’est spécialisée dans la recherche biologique et dans les mutations. Elle cherche à tous prix à s’emparer de ces enfants précurseurs. Pourquoi ?
Le profit, quoi d’autre ? Et pour produire le maximum de profits, il faut être à la fois précurseur et meneur.
Vous attribuez des pouvoirs très forts aux deux enfants : l’influence sur les plantes et sur le cerveau d’autrui. Pourquoi ceux-ci ont-ils retenu votre attention ?
Retour aux origines bibliques : dans le Jardin d’Eden, Adam et Eve sont en osmose avec les plantes, parlent aux animaux et ne subissent pas les aléas du temps. Depuis, difficile de faire mieux.
Comment choisissez-vous le cadre de vos récits ? Celui-ci semble se dérouler aux USA. Aviez-vous des raisons particulières pour le placer là ?
Patrick Boutin-Gagné étant canadien, c’était justifié. Il avait la documentation sur place et puis, quand même, imaginez Blade Runner à Clermont-Ferrand, pas sûr que ça ait le même impact.
Qu’est-ce qui vous guide dans la recherche des patronymes de vos personnages ? Sont-ils choisis avant l’élaboration de ceux-ci ou les définissez-vous quand vous les avez construits ?
Les deux, c’est variable.
Vous ouvrez le premier album avec le regard d’un loup, loup que l’on retrouve dans le fil du récit. Avez-vous une affection particulière pour cet animal ?
Pas particulièrement. L’important, c’est l’impact, l’accroche dans le regard du lecteur. D’ailleurs, avez-vous remarqué que l’album se termine par un autre regard, celui de Terence, un autre loup ?
Vous projetez votre histoire dans un futur qui semble assez proche. Vous introduisez pourtant des droïdes. Pensez-vous que ceux-ci vont assez vite faire partie de notre quotidien ?
Non, c’est juste un artifice qui permet d’étoffer la narration, le rapport de Terence au deuil.
Vous avez retenu le format du diptyque pour votre série. Est-ce pour mieux concentrer votre scénario, pour rendre le tempo encore plus soutenu ?
L’histoire ne tenait pas sur 46 pages, donc deux albums étaient parfaits.
Terence fait équipe avec Kristelle, son assistante, un personnage qui semble avoir de belles ressources et un passé tumultueux. En saurons-nous plus dans le prochain tome ?
Merci d’avoir remarqué cette jolie présence. Oui, on en saura un peu plus sur la belle Kristelle et son passé mais chut, je ne peux pas en dire plus…
N’anticipiez-vous pas une situation vécue dans le “Grand Confinement” lorsque Lilly et Neway suivent leur scolarité dans un i-groupe ?
Evidemment, Nostradamus l’ayant prédit dans ses prophéties, je me suis efforcé d’anticiper. Eh, je plaisante !
Après le tome 2 de Terence Trolley quels sont vos projets scénaristiques ? Quels récits allez-vous faire découvrir à vos lecteurs ?
Chez Bamboo, dessin et couleurs de Gaël Séjourné, une sombre histoire mi-criminelle, mi-fantastique, Derrière les masques, mais, vu la situation actuelle, on va peut-être changer le titre
Chez Dupuis, l’ultime épisode de notre Chinaman, avec le grand Olivier TaDuc aux pinceaux.
Chez Dargaud, l’avant dernier épisode d’Avant la Quête, avec les compères Loisel et Etien.
Et encore chez Dargaud, une réécriture du mythe de Pygmalion, dans la lignée des albums La Gloire d’Héra et Tirésias.
Aux Humanos, l’adoption du roman de L. Généfort, Les Peaux Epaisses, avec au dessin Pasquale.
Présentation et propos recueillis par serge perraud au mois de mai 2020 pour lelitteraire.com