Didier Ayres, Devant, au-devant de la mort

Devant, au-devant de la mort

image ci-dessus : Berg­man, Le Sep­tième Sceau (1957), extrait.

Ce que je retiens de l’idée de la mort, c’est qu’elle est encline à plu­sieurs ambi­guï­tés. Tout d’abord, je ne connais pas, même empi­ri­que­ment, com­ment elle existe. Puis, le sachant pour­tant en mon inti­mité, il ne m’est pas sûr de la connaître pour ce qu’elle incarne.
Et même si comme tout un cha­cun, je déplore la mort, la mienne par voie de consé­quence, mou­rir engage mal­gré tout à des ques­tions sans nombre et à une sorte de fas­ci­na­tion mor­bide, par­fois sereine, hasar­deuse, sujette à la supputation.

Ce qui me motive, cela dit, se confond avec l’intérêt uni­ver­sel qu’on lui octroie, notam­ment avec les déve­lop­pe­ments sécu­laires de la phi­lo­so­phie, mort consi­dé­rée comme une spé­cu­la­tion ultime pour cer­tains, objet d’explorations intel­lec­tuelles, voire de pra­tiques reli­gieuses pour d’autres. À par­tir de là, il reste dif­fi­cile d’avancer une idée neuve.

Divers che­mins nous conduisent à elle. La mort est tou­jours devant soi, évi­dem­ment, mais l’on se porte aussi vers elle, quoi qu’il en soit, y com­pris sans mor­bi­dité ni angoisse. Nous sommes devant la fin, et nous nous pro­po­sons d’aller au-devant d’elle, espé­rant vai­ne­ment la com­battre. Com­bien d’œuvres lit­té­raires ou ciné­ma­to­gra­phiques, com­bien de récits cherchent à rendre la mort inof­fen­sive, par­fois à se moquer d’elle, à ces­ser en un sens de lui appar­te­nir.
Car elle offre un avan­tage dans la mesure ou jus­te­ment elle devien­drait la mesure des contin­gences, mesu­re­rait labsur­dité de telle ou telle vanité. Se por­ter vers elle, assure a priori un des­tin, en amé­lio­rant cette concep­tion où se détruisent orgueil et paresse, et per­met de se construire au-devant d’elle comme ten­ta­tive de péren­nité, immua­bi­lité, des­tin éternel.

Certes, elle ne me paraît pas enviable. Et elle n’achève rien en défi­ni­tive. La vie d’autres contem­po­rains conti­nuera alors que je ne serai plus. Du reste, je ces­se­rai de souf­frir, autant des ambi­tions déçues que des mal­heurs de santé. Mais il ne faut pas espé­rer lais­ser quelques traces, les­quelles très cer­tai­ne­ment ne pour­ront durer au-delà de la des­truc­tion par le soleil et la dila­ta­tion conti­nue de notre uni­vers.
Donc, ces empreintes ne dure­ront pas alors que la mort res­tera éter­nelle.

S’affron­ter à elle – puisque l’on ne peut res­ter inac­tif devant elle – per­met de lui extor­quer un peu de sagesse, ou mou­rir revien­drait à étu­dier le mes­sage de l’éternité ; mais l’immor­ta­lité ne sup­plée pas au tré­pas. Immor­ta­lité d’ailleurs tout à fait angois­sante.
Le des­tin d’un vam­pire, nous paraît peut-être tou­jours mal­heu­reux, alors que la mor­ta­lité du Christ nous conduit peut-être tou­jours aussi vers le sacré. « Mort tu n’es rien et je ne te connais pas. »

Didier Ayres

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