Une nouvelle plongée dans un des volets de la fantastique saga des Rois maudits
Isabelle, la fille de Philippe le Bel, assiste, en compagnie de son père et de son mari, Edouard II d’Angleterre, au supplice de Jacques de Molay. Elle entend la fameuse malédiction du 18 mars 1314. Mariée pour des raisons politiques, elle est devenue la reine d’Angleterre. Mais Edouard la dédaigne depuis qu’elle a assuré la lignée avec un fils. Elle déteste son mari qui lui reproche son tempérament froid. Lui, incline plutôt vers les garçons. C’est avec Gauthier d’Aulnay, un jeune écuyer peu farouche, qu’il passe une nuit se laissant aller à ses pratiques habituelles. Ce jeune homme est également l’amant de Blanche de Bourgogne, l’épouse du futur. Celle-ci recueille ses confidences sur sa nuit avec Edouard, et l’utilisation particulière d’un chapelet. C’est avec ce chapelet que Blanche déclenche un scandale, connu historiquement sous le nom de L’affaire de la Tour de Nesles, qui ébranle le royaume de France. Isabelle, alors, n’a de cesse de se débarrasser de ce mari qui la bafoue. Elle affichera sa propre volonté, gagnant le surnom de La Louve de France.
Après Aliénor d’Aquitaine, c’est le destin d’Isabelle qui s’inscrit dans cette série qui met en scène des femmes qui ne reculent devant rien, pour assouvir leur vengeance, leur soif de pouvoir…
Pour raconter l’histoire d’Isabelle, Thierry Gloris s’est adjoint le concours de Marie, son épouse, par ailleurs historienne et iconographe. Dans ce premier volume, où l’on retrouve une grande partie des acteurs des Rois Maudits, les auteurs mettent l’accent sur le statut de la femme, sur la nature de son rôle et sur le destin qui est le sien à cette époque. Ne font-ils pas dire à Philippe le Bel : “Je vous ai donné à l’Anglais pour raison politique. Je n’ai pas cherché votre bonheur. Remerciez plutôt Note Seigneur de vous avoir donné, dans Sa grande clémence, mâle descendance. Car à la fin il ne reste que cela : la lignée et l’héritage que nous lui transmettons.” Dans ce clivage sociétal, la femme est considérée avant tout, comme un pion et une génitrice. Aussi, pour elle, avoir des visées différentes, sortir du cadre ne peut se faire que dans le sang quand les circonstances sont favorables.
Les deux premières héroïnes appartiennent, cependant, aux classes aisées, très aisées, où l’on peut penser avoir des individus un peu plus évolués socialement (quoi que !). Quand on perçoit comment était traitée une reine, on imagine quelle pouvait être la place des épouses de bourgeois, de paysans…
Jaime Calderon assure la partie graphique avec un dessin académique, d’un grand réalisme. Il met en page cette fresque historique avec un grand souci du détail et de l’authenticité. On mesure l’important travail de recherche et de documentation mené pour donner vie aux décors, tant intérieurs qu’extérieurs, et pour tout ce qui concerne l’existence quotidienne. Ce dessin, d’un classicisme qui sied parfaitement à l’esprit de la série, amène toutefois à des postures un peu figées de personnages.
Ce premier tome, qui dresse le cadre à partir duquel Isabelle donnera la pleine puissance de sa personnalité, est attractif et fort érudit. Il ouvre une nouvelle plongée dans un des volets de la fantastique saga des Rois maudits.
serge perraud
Thierry et Marie Gloris (scénario), Jaime Calderon (dessin), Johann Corgié (couleur), Isabelle, La Louve de France, volume 1/2, Delcourt, coll. ” Les Reines de sang”, octobre 2012, 56 p. — 14,30 €.