Entre Kafka et Jonathan Swift
La fable décalée de McEwan arrive au bon moment. Son héros — Jim Sams, cafard au destin d’exception — se réveille dans le corps du Premier ministre britannique. Il sait qu’il a une mission à accomplir.
Rien ni personne ne l’arrêtera dans sa volonté de porter la «voix du peuple».
Ce texte de sire et de circonstance rappelle forcément La métamorphose de Kafka. Mais son humour appartient tout autant à une satire à la Jonathan Swift.
Brillant et polémique, le livre s’apprécie dans sa résistance enjouée face à un monde de faux-semblants où les rouages impitoyables du pouvoir sont habilement démontrés et démontés.
Ian McEwan écrit à l’arraché avec intelligence et humour, il offre une farce absurde de la société britannique au moment où ce “human cockroach” vit sous le Palais de Westminster entre la Chambre des Communes et celle des Lords — ce qui lui permet d’entendre les questions et réflexions des anciens ministres comme des partis d’opposition et diverses moqueries des uns sur les autres — le tout en un excellent anglais…
Dans le temps du Brexit, le cafard se surprend avoir des difficultés à s’apprécier “homo sapiens sapiens” tant chaque politicien se contente de commentaires auto-satisfaits sur sa propre incompétence, que ce soit aux Chambres ou sur Twitter, à la télévision ou dans la presse à sensation. L’antagonisme dans ce livre n’est pas entre ceux qui veulent quitter l’Europe et ceux qui désirent y rester mais entre les “Horlogers” et les “réservalistes”. Les premiers sont les élites si l’on entend par ce terme les adeptes de la raison et de la modération (et qui lisent “The Guardian”). Les autres sont les populistes aux “fabuleux” slogans débités à l’emporte-pièce en guise de possible programme.
Nous sommes alors peu éloignés de sketchs à la Monty Python. Quels que soient les sujets dans la “disputatio” entre les deux camps, tout devient postures, impostures et masques.
Si bien que la Chancelière allemande en perd son latin : ainsi lorsqu’elle demande pourquoi le Brexit et que la seule réponse est un “parce que” laconique.
Aussi fragile que l’exosquelette du cafard, ce roman se moque en supplément et perfidement du choc politique entre le Royaume Uni et les USA au nom d’une démocratie capitaliste libérale.
Les nouvelles donnes se reconfigurent de manière comique, histoire de donner une juste caricature à une nouvelle “civilisation” aussi invasive qu’évasive.
L’histoire britannique est donc secouée par la personnalité de l’auteur facétieux. Il remet en question les idées que le peuple accepte sans autre forme de procès que celle qui le caresse dans le sens du poil en un texte relié aux circonstances actuelles. Ou presque.
On attend déjà la suite tragi-comique post Covid.
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jean-paul gavard-perret
Ian McEwan, Le cafard, trad. de l’anglais par France Camus-Pichon, Hors Série Littérature, Gallimard, Paris, 2020.