Une mine d’informations
Les documentaires réunis sur ce DVD, Le Combat d’un homme et L’Ecrivain, rendent hommage à l’un des écrivains russes les plus importants du XXe siècle : Alexandre Soljénitsyne qui reste (en dehors de son pays) aussi célèbre que méconnu. De fait, si le titre de L’Archipel du Goulagest passé dans le langage courant, en France, depuis des décennies, et si toute personne quelque peu cultivée a une notion du rôle que joua l’écrivain pour révéler chez lui et à travers le monde les crimes du régime soviétique, les livres de Soljénitsyne ont de nos jours un lectorat français plutôt restreint, et le parcours même de l’auteur demeure flou pour nos contemporains (faites une petite enquête à ce propos parmi votre entourage).
C’est dire à quel point les documentaires de Boutang et Chevallay peuvent être utiles : ils viennent combler un manque, en apportant des informations précieuses, présentées sous une forme très attrayante, où les images d’archives et les témoignages récents alternent.
Le premier documentaire insiste surtout sur le parcours de Soljénitsyne, rappelant que le romancier a combattu contre deux totalitarismes, d’abord au cours de la Seconde Guerre mondiale, dans l’armée, puis en préparant et en écrivant, au goulag, en relégation ou en “exil intérieur”, les livres qui feraient dire à l’un de ses biographes : “Aucun autre écrivain du XXe siècle n’a eu une telle influence sur l’Histoire” (D.M. Thomas).
De façon très pertinente, les étapes de la vie de Soljénitsyne sont replacées dans le contexte, d’une part, de l’histoire soviétique, et d’autre part, de l’air du temps occidental. Les extraits d’émissions littéraires où des intellectuels français influents (dont certains complètement oubliés aujourd’hui) commentent des œuvres de Soljénitsyne dans un esprit de “parisianisme aimable“ (dixit Boutang), valent leur pesant d’or, pour l’optique fallacieuse qu’ils exhibent — à peu de chose près celle des “idiots utiles“ bien aimés de Staline.
On reste bouche bée en écoutant Jean-François Kahn insister d’un point de vue “socialiste“ sur l’idée que c’est là un romancier “réactionnaire“, Max Pol Fouchet présenter Soljénitsyne comme “académique“, ou Francis Cohen, “grand intellectuel du Parti“, nous assurer que cet homme dangereux vit “bien tranquillement“ à Moscou, du temps où le dissident subissait une tentative d’assassinat.
Ce genre de propos, qu’ils aient été dictés par le Parti, ou tenus en toute imbécillité imbue d’elle-même, produisent, avec le recul, un effet qui fait comprendre encore mieux que les persécutions directes infligées à Soljénitsyne quelle endurance héroïque devait avoir cet homme-là pour continuer d’écrire et de lutter envers et contre tout.
Son ami, éditeur et traducteur, Nikita Struve, témoigne sur les étapes russes et occidentales du combat de Soljénitsyne, avec une douceur souriante qui renforce aussi, à sa façon, le contraste entre ceux qui ont su faire ce qu’il fallait et ceux qui tenaient le haut du pavé, en URSS de jadis ou à Paris.
Le second documentaire (hélas, bien plus court) accorde une large place aux propos du romancier lui-même sur son écriture. L’on y apprend, entre autres, qu’il a passé des années à préparer le lexique dont il allait user pour ses œuvres, mû par le souci de donner une nouvelle vie à un choix large d’expressions désuètes ou dialectales.
S’il reste encore des Max Pol Fouchet convaincus que c’est là un romancier “académique“, après avoir entendu Soljénitsyne expliquer son travail sur le langage, ils finiront peut-être par y voir plus clair en apprenant que sur le plan formel, il avait commencé par s’inspirer de Dos Passos, le moderniste américain qu’il avait découvert par chance pendant l’un de ses séjours à la Loubianka.
Ce DVD est à voir absolument par tout amateur de littérature et/ou d’Histoire, qui ne tiendrait pas à garder ses lacunes ni à se fier, en matière de jugements littéraires ou politiques, aux “idiots utiles“ (toujours plus nombreux et médiatiques que les Soljénitsyne).
agathe de lastyns
Pierre-André Boutang et Annie Chevallay, Alexandre Soljénitsyne — Le combat d’un homme / L’écrivain, DVD, Arte, mars 2011, deux films (60 et 26 minutes)- 20,00 €