Julien Burri, Liber , Flux & Prendre l’eau

Histoires d’eau trouble

L’éro­tisme de Julien Burri est mené par la secrète logique d’une « fata­lité » ins­crite au cœur même de l’être mais aussi par la volonté de reprendre un col­loque sen­ti­men­tal qui vien­drait trans­for­mer en vic­toire la défaite des amants fan­to­ma­tiques.
Ils osent enfin se recon­naître autres qu’ersatz ou sub­sti­tut loin des ver­tiges délé­tères d’une mère et de ses gestes per­dus. C’est donc bien l’effroi ori­gi­nel que l’érotisme de Liber tente de conjurer.

L’œuvre reste tou­jours mar­quée par l’exploration de la sexua­lité dont la ten­sion naît de l’enfance. Il y eut dans ses pre­miers textes et entre autres l’évocation de la rela­tion à une mère dévo­rante et l’exploration sexuelle déran­geante de « Pou­pée » (nom qu’il lui donne) et du petit gar­çon “modèle”.
Existe aussi chez le poète un éro­tisme homo­sexuel avec la sueur humaine et des cris de métaux dans des hori­zons de forge rouge où le bru­tal vacille­ment de l’ordre sur­git par l’assaut bou­le­ver­sant des sen­sa­tions : angoisse, recul, affo­le­ment, plai­sir, amour exalté mais peut-être non absout.

Le chant de désir du per­son­nage récur­rent de ces récits — Ralph — reste happé par l’attraction trouble que sus­cite la beauté. De son expé­rience pri­mi­tive — coincé entre les phrases ter­ri­ble­ment et naï­ve­ment per­verses de la mère : «Tu n’as pas besoin d’amis» ou «Ce qui est bon pour moi est bon pour toi» (elle lui donne les médi­ca­ments que le méde­cin lui a pres­crits), de la grand-mère («Hein mon bis­cuit ? Quand est-ce que ta maman nous laisse une nuit en amou­reux ? Tu des­cen­dras dor­mir dans mon lit») et le silence du père gêné par son fils — l’auteur retire une soli­tude abys­sale peu­plée de fantasmes.

Long­temps, Burri  les a décrit à l’économie et par le biais de rac­cour­cis très auda­cieux. Sur­git en consé­quence de l’œuvre une froi­deur qui emporte du malaise à la fas­ci­na­tion.
Demeure aussi une forme de déses­poir : « Un ins­tant pour voir l’étendue oublieuse / Tout est là / Pour­tant rien ne se laisse recon­naître ». Le poète pro­mis selon sa mère au rang des écri­vains paraît dans ses pre­miers textes plus abîmé que vivant.

Néan­moins, le mal d’être et l’angoisse sont réen­chan­tés et par­viennent peu à peu à ouvrir le poète à une plé­ni­tude dans Flux et sur­tout dans Liber. Cette âme et ce corps étouf­fés dans « Pou­pée » osent le magni­fique sab­bat des dam­nés du « Cri­men Amo­ris ». La volonté d’accorder à  la chair tous ses droits “oblige”.
Une nou­velle morale tente de naître dans le désir d’innocenter le sexe et de s’innocenter soi-même. Il fait écho au vers de Ver­laine : « Soyons scan­da­leux sans plus nous gêner ».

jean-paul gavard-perret

Julien Burri,
Prendre l’eau, Ber­nard Cam­piche Edi­tions, Lau­sanne,
Flux, Edi­tions Cou­leurs d’encre, Lau­sanne,
Liber, bois gravé de Claire Nicole, col­lec­tion Tirage limité.

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Filed under Erotisme, Poésie, Romans

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