Sentiment de la musique : un témoignage
image ci-dessus : Château de Chaumont-sur-Loire, détail d’une cheminée
Comme je fus interpellé par Frédéric Grolleau récemment sur le sujet de la musique, j’ai pensé à ce témoignage écrit. Cela représente beaucoup pour moi, non de disserter sur le fait musical, comme pourrait le faire Hegel dans son Esthétique, mais parce que la musique m’accompagne tout au long de mon existence. Et j’écoute autant de jazz que de musique savante, de pop autant que de Cold-Wave, favorisant l’éclectisme plutôt que l’écriture analytique (comme dans l’aspect critique de l’œuvre de G. B. Shaw).
Je peux passer sans transition de Gesualdo à Gérard Griset, de Thelonious Monk à Billie Holliday, de Joy Division aux B’52. Rien ne me paraît inutile, tant je suis ouvert et tolérant. La seule remarque à ce sujet, c’est que j’excepte de ce panthéon, les voix de Bel Canto, que je ne supporte que très belles, sans vibrato notamment. Quoi qu’il en soit, je n’envisage pas la vie sans musique et je n’ai nulle peur du silence.
Il y a aussi des étoiles dans mon ciel musical : J. S. Bach qui a souvent produit et produit encore une forme de tristesse très profonde, où je retrouve ma propre tristesse. Des larmes, combien ! en écoutant le Magnificat. Et puis du côté de la musique savante occidentale ici, je lis des biographies ou des essais (Adorno, Jankélévitch…). Mais ma culture reste relative, je dirais celle d’un amateur, qui se renseigne mais qui ne sait pas jouer d’un instrument (depuis mon échec à ma troisième année de pratique, la professeure constatant que je ne pouvais réussir une dictée musicale).
Je n’ai donc pu, dans mon âge adulte, qu’essayer de retenir et comprendre les terminologies qui organisent la culture musicale — savoir reconnaître une chacone, si, ici, il s’agit d’un l’adagio, ou là, tel ou tel mouvement lent d’une sonate etc., ce qui reste sommaire.
Il n’empêche que je mets au plus haut l’art de la musique, juste au-dessus de la poésie, dans une hypothétique hiérarchie. Ces deux arts forment une expression où peuvent fusionner l’énigme du sens, la sensitivité, voire l’intellection, et tous les appareils stylistiques capables de faire penser, de faire avancer une pensée spirituelle.
Écouter pousse autant à aimer qu’à souffrir, à s’élever ainsi qu’à se confronter à la réalité des images, où il faut toujours que l’artiste reste inspiré, allant vers une manifestation de la philosophie, de la théologie (et évidemment à ce sujet, on pense à la période baroque, à la musique sacrée).
Arts supérieurs qui parfois unissent leurs forces. Arts nécessaires, ultimes, travaillant obstinément à la liaison, reliant l’homme à sa condition d’homme, mais améliorée, agrandie, meilleure. Voilà ce que je dois à la musique (et pour être sincère, à la pratique de la poésie).
Didier Ayres