Celle qui a renoncé à fumer à 5000 mètres d’altitude : entretien avec Michelle Labbé (Figures au fond du gouffre)

Michelle Labbé a su fonder par elle-même ses convictions éthiques et esthétiques. En rien égocentrée, elle cultive un multilatéralisme qui la laisse sensible et réactive à bien des hégémonies délétères et des capacités de nuire contre lesquelles son oeuvre combat.
Non contaminée dans son enfance par Jules Vernes et venue à l’écriture sur le tard (relatif), elle est désormais une conteuse jamais en mal d’histoires et de visions. Elle reste avant tout une femme libre et c’est pourquoi il est toujours passionnant d’entrer dans ses livres qui sont autant d’invitations à bien des voyages.

De Michelle Labbé, Figures au fond du gouffre, L’Harmattan, mars 2020, 218 p.- 20,00 €.

 

Entretien : 

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le goût du café et le silence.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mes rêves d’enfant : écrire, peindre et dessiner se sont réalisés.
Pêcher la crevette est devenu impossible en raison de la quasi-disparition de la faune marine dans la rade de Lorient.

A quoi avez-vous renoncé ?
A la cigarette, incompatible avec les voyages en haute altitude. Fumer à 5000 mètres est suicidaire.

D’où venez-vous ?
D’un port sur la rade de Lorient, Locmiquélic, dont les habitants s’appellent les Minahouëts, nom d’un outil qui sert à calfater les bateaux. On pense que ce nom leur vient de ce que presque tous les hommes étaient calfats jusqu’au début du siècle dernier.

Qu’avez-vous reçu en « dot »?
Des convictions, douteuses, du genre : quand on veut on peut. Un gars ne pleure jamais et toi non plus.

Un petit plaisir– quotidien ou non ?
Courir ou marcher vite.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Je ne suis jamais en panne d’inspiration. J’ai commencé à écrire très tard, j’ai donc un retard d’aventures, d’expériences à raconter. Cependant, en ce temps de confinement, j’ai demandé aux jeunes que je connais d’évoquer un pan de leur vie : années d’études, petits boulots d’étudiants, premiers mois d’activité. Nous sommes en ce moment en train de retravailler leurs textes ensemble.

Quelle part l’errance possède dans votre oeuvre ?
L’errance physique est souvent présente, à travers les voyages principalement.
J’aime aussi évoquer des états limites, souvent créés par la société.

Quelle est la première image qui vous interpella ?
J’avais quatre ans. Je me retrouvais dans un hameau. Je ne connaissais pas la campagne. Je me rendis compte avec stupéfaction que ces gens-là, au lieu d’aller comme tout le monde acheter leur lait à l’épicerie, le tiraient du pis des vaches !

Et votre première lecture ?
D’abord une histoire de bande d’enfants dans une île. Ça s’appelait « Crème de Langouste ». Le livre n’a pas été réédité. Je suis passé ensuite aux « Mémoires de la Belle Otero ». A l’âge de neuf ans, elle faisait quelque chose que je ne comprenais pas. Je me disais que je comprendrais quand j’aurais neuf ans. Et puis j’ai oublié. Les adultes voulaient à tout prix me faire lire Jules Verne et rien que Jules Verne. Je n’ai donc jamais lu Jules Verne de ma vie.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Du jazz principalement.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
« Le Rivage des Syrtes » de Julien Gracq.

Quel film vous fait pleurer ?
« Iphigénie » de Cacoyannis.

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Quelqu’un qui se demande ce qu’il faut regretter de la jeunesse.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ecrire ne m’a jamais posé de problèmes. Rencontrer est plus difficile.

Quelle ville a pour vous valeur de mythe ?
Lhassa où je suis allée plusieurs fois. La dernière fois, faute de place dans notre restaurant préféré, on nous a installés sur le toit de l’immeuble d’en face. Il a fallu grimper les quatre étages par une échelle à rallonges. Mais nous n’étions plus à une montée près. Dominent dans ce souvenir la gentillesse des Tibétains, leur propension à toujours trouver des solutions pour contenter les autres, à mépriser le confort et le luxe et à toujours monter, monter…

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Faulkner, Fitzgerald, Maupassant, Gary/Ajar, Le Clézio.

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un peu de souffle pour pouvoir retourner marcher en montagne.

Que défendez-vous ?
Les Droits de l’Homme.

Que vous inspire la phrase de Lacan : »L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas « ?
Son désir de faire mouche par des formules étonnantes est si grand qu’il le dessert plutôt. On risque de retenir son humour, d’oublier son analyse.

Que pensez-vous de celle de W. Allen: « La réponse est oui mais quelle était la question? »
Monsieur Allen a tendance actuellement à oublier les questions qu’on lui pose.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Souvent, on demande à ceux qui écrivent quand ils ont commencé à écrire.
Alors je vais répondre : A dix ans, j’envoyais des histoires drôles au Constellation ou au Sélection du Reader’s digest ( je ne me rappelle plus lequel) pour gagner des sous. Ensuite j’ai écrit un roman pour mes copines de colonie de vacances. Ça s’appelait « L’Amour triomphe ». C’était l’histoire d’un bel Espagnol qui tombait amoureux d’une très jeune fille. Comme elle ne l’aimait pas, il la séquestrait. Le problème c’est qu’il ne savait que faire de la belle séquestrée. Le roman, faute de solution, ne s’achevait pas. Le troisième essai, quarante ans plus tard, fut une thèse sur J.M.G. Le Clézio.

Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 13 mai 2020.

Leave a Comment

Filed under Entretiens, Romans

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *