Destruction du Salvador, suite
D’Horacio Castellanos Moya, j’avais lu Le Dégoût, long monologue où se déversait jusqu’à l’absurde toute la haine, le mépris (bref le dégout) que la République du Salvador inspirait à son personnage (et, on peut raisonnablement le supposer, à l’auteur). Véritable machine de guerre, tout y était décortiqué et exposé sous son angle le moins flatteur : les habitants sont sales, débiles et méchants, la politique méprisable, la culture haïssable, la cuisine dégueulasse, la météo pourrie ; même le sable sur les plages colle de manière répugnante entre les orteils.
La servante et le catcheur, son dernier roman traduit en français, n’a certes pas non plus été subventionnée par le ministère du tourisme salvadorien. Qu’on en juge : on est en dans les années 70, c’est le temps de la dictature militaire, des escadrons de la mort, des guérillas d’extrême gauche et d’un peuple pris entre deux feux.
Une vieille servante s’inquiète de la disparition de ses employeurs, un couple de jeunes de bonnes familles fraîchement installé à la capitale. Elle a l’idée (stupide) de demander de l’aide à quelqu’un qu’elle a connu jadis, un ancien catcheur désormais reconverti en policier chargé des basses œuvres (trouver et torturer des “subversifs”, ce genre). Mais celui-ci ne veut pas l’aider, et d’ailleurs ne peut pas : il est en train de mourir, pourrissant de l’intérieur à la suite d’un ulcère qui n’a pas été soigné (attention : allégorie).A utour de ces deux là, plutôt en bout de course, gravitent bien d’autres personnages, pris dans le tourbillon de la guerre civile. Leur caractéristique commune est de ne jamais vraiment comprendre la situation. Il y a toujours un pan de la réalité qui leur échappe, d’abord parce qu’ils ne sont pas bien malins, mais aussi car l’atmosphère paranoïaque de l’époque a disposé aux quatre coins de la ville son lot d’informateurs (aussi bien des militaires que des révolutionnaires) prêts à entrer en action, en général de manière violente. Et, même s’ils n’en ont pas conscience, ce sera là leur principal problème : dès qu’ils ont mis le doigt dans l’engrenage, il est impossible de s’en sortir. En même temps, comment faire pour ne pas s’impliquer ? Après tout, vivre suppose de s’intégrer à la société, mais si celle-ci s’entre-dévore, alors rien de positif ne peut en sortir. De fait, il n’y a rien à espérer de tout ça, la violence est partout, pour tout le monde, et la tragédie est à la fois individuelle et nationale.
Les hommes en particuliers sont tous absolument irrécupérables, bêtes libidineuses qui ne pensent qu’à “défoncer le cul de la petite blonde”. Les femmes sont peut-être plus nuancées. Elles ne font pas forcément les meilleurs choix (moraux, tactiques, humains…) mais au moins elles essaient quelque chose (de s’en sortir, de survivre, d’être généreuses). En cela, Horacio Castellanos Moya a mis un peu d’eau dans le vin de sa fureur contre le monde en général et son pays en particulier. Pas forcément de la manière la plus originale (homme = brute ; femme = sensibilité). On est dans un entre-deux qui n’est pas totalement satisfaisant : on a gagné en romanesque mais perdu en énergie et en style (ou plutôt, le style est devenu plus sec, moins lyrique).
Ne connaissant pas bien l’ensemble de son œuvre, je vais supposer que c’est un livre de transition, entre les textes courts et percutants d’hier, et ceux plus amples et narratifs d’un possible avenir.Lire un extrait
La servante et le catcheur, son dernier roman traduit en français, n’a certes pas non plus été subventionnée par le ministère du tourisme salvadorien. Qu’on en juge : on est en dans les années 70, c’est le temps de la dictature militaire, des escadrons de la mort, des guérillas d’extrême gauche et d’un peuple pris entre deux feux.
Une vieille servante s’inquiète de la disparition de ses employeurs, un couple de jeunes de bonnes familles fraîchement installé à la capitale. Elle a l’idée (stupide) de demander de l’aide à quelqu’un qu’elle a connu jadis, un ancien catcheur désormais reconverti en policier chargé des basses œuvres (trouver et torturer des “subversifs”, ce genre). Mais celui-ci ne veut pas l’aider, et d’ailleurs ne peut pas : il est en train de mourir, pourrissant de l’intérieur à la suite d’un ulcère qui n’a pas été soigné (attention : allégorie).A utour de ces deux là, plutôt en bout de course, gravitent bien d’autres personnages, pris dans le tourbillon de la guerre civile. Leur caractéristique commune est de ne jamais vraiment comprendre la situation. Il y a toujours un pan de la réalité qui leur échappe, d’abord parce qu’ils ne sont pas bien malins, mais aussi car l’atmosphère paranoïaque de l’époque a disposé aux quatre coins de la ville son lot d’informateurs (aussi bien des militaires que des révolutionnaires) prêts à entrer en action, en général de manière violente. Et, même s’ils n’en ont pas conscience, ce sera là leur principal problème : dès qu’ils ont mis le doigt dans l’engrenage, il est impossible de s’en sortir. En même temps, comment faire pour ne pas s’impliquer ? Après tout, vivre suppose de s’intégrer à la société, mais si celle-ci s’entre-dévore, alors rien de positif ne peut en sortir. De fait, il n’y a rien à espérer de tout ça, la violence est partout, pour tout le monde, et la tragédie est à la fois individuelle et nationale.
Les hommes en particuliers sont tous absolument irrécupérables, bêtes libidineuses qui ne pensent qu’à “défoncer le cul de la petite blonde”. Les femmes sont peut-être plus nuancées. Elles ne font pas forcément les meilleurs choix (moraux, tactiques, humains…) mais au moins elles essaient quelque chose (de s’en sortir, de survivre, d’être généreuses). En cela, Horacio Castellanos Moya a mis un peu d’eau dans le vin de sa fureur contre le monde en général et son pays en particulier. Pas forcément de la manière la plus originale (homme = brute ; femme = sensibilité). On est dans un entre-deux qui n’est pas totalement satisfaisant : on a gagné en romanesque mais perdu en énergie et en style (ou plutôt, le style est devenu plus sec, moins lyrique).
Ne connaissant pas bien l’ensemble de son œuvre, je vais supposer que c’est un livre de transition, entre les textes courts et percutants d’hier, et ceux plus amples et narratifs d’un possible avenir.Lire un extrait
matthias jullien
Horacio Castellanos Moya, La servante et le catcheur, traduit de l’espagnol (Salvador) par René Solis, coll. “Bibliothèque hispano-américaine”, Métailié, janvier 2013, 240 p. — 18,00 €.