Henri Michaux sait combien en voulant mettre à nu les choses, mots et dessins les rhabillent et que, de leur poudrière aux enchantements, de leur volcan en feu ne restent que des cendres ou des prothèses.
C’est pourquoi — afin que les yeux ne soient plus voilés par des horizons songeurs ou par l’antique appel des sibylles lointaines plus ou moins douteuses — le poète ne cessa de combattre contre les formes existantes.
Ici se “dessine” la progression du geste de la main sur le support : l’écriture n’est plus ce qui fixe mais qui crée le sens comme à l’aveugle en avançant. Nous sommes bien loin de l’écriture automatique surréaliste qui ne fut qu’une farce. Car le multiple de ce qui échappe nécessite une fluidité non du seul mental — fût-il court-circuité — mais du geste qui court, hésite, accapare, biffe comme le prouve ce livre où se mêlent l’écriture et le dessin.
Le geste seul dégrise par la force celle qu’on nomme parfois et pour d’autres motifs la veuve poignet. Les mains touchent alors leur lune comme le soleil sur l’écume du papier là où l’auteur en son engagement majeur répond à la question clé de tout créateur : “Qui n’a voulu un jour faire un abécédaire, un bestiaire, et même tout un vocabulaire, d’où le verbal entièrement serait exclu ?”
Changeant de braquet et sur le “drap” nu du support, Michaux reprend l’hypothèse majeure : “Si je tentais une fois encore, pour de bon m’ouvrant aux êtres du monde qui se voit.” Il s’agit dès lors d’exhumer des bijoux ravis selon une distillation inédite faite de muscles autant que de raison afin que “l’ardore” fasse remonter à la surface ce qui n’est parfois qu’un “misérable miracle”.
Le poète sait ce que valent les signes. D’où ce “saisir” où ils se propagent — dignes aloyaux, rognons béjaunes, etc. — pour donner à la grande langue aphone des pensées océanes.
Plutôt que de délacer en alcôve et tel un alguazil le corsage des nomenclatures, Michaux s’empare du plus simple stylo encre pour qu’en jaillissent des diamants sur canapé Et ce, afin que saisir soit autre chose qu’une prise.
jean-paul gavard-perret
Henri Michaux, Saisir, Illustrations de l’auteur, Fata Morgana, Fontrfroide le Haut, 2020, 112 p.