La beauté comme propos
image ci-dessus : W. Turner, Lake Lucerne, 1841/44
Exercer un discours sur la vaste question du beau, sachant le sujet très commenté, et en ne cherchant pas un argumentaire hors des limites de ma propre expérience, je ne saisirai donc que quelques aspects de cet ensemble conceptuel, si varié et profus. Je n’aborderai ici que ce que m’autorise le fil continu de ce que je suis en train de rédiger, au fil de la plume.
D’ailleurs, que sais-je du beau ? Quelles certitudes sur la façon dont il se manifeste ? Et même en répondant à peu près à ces interrogations, comment circonscrire mon appréhension de la beauté, sinon en fabriquant ma propre esthétique, la science du beau. Et avec quoi ?
Écrire, par la variété des expressions, confine à une vision, une option, voire une opinion. Et comment partager cette certitude ? Ce que je dirais, se déduit de choses concrètes. Poétiser un texte ne se fait selon moi que grâce à un ou des éléments concrets, et la beauté reste difficile à saisir dans un texte de philosophie par exemple (même s’il existe des exceptions, bien sûr). Il s’agit surtout de rapporter, de restituer ce que l’on a vu. Et avec clarté. La beauté doit être claire, même si elle est ténébreuse, elle se conçoit dans la simplicité, sans préjugés.
Ainsi, écrire par transparence, reproduit l’objet esthétique que le poète rencontre, ce qui est pour lui un agir, une action. Action qui en passe par une logique interne, un vocabulaire, et une appréciation de l’univers que cette simple métaphore, cet oxymore ou toutes autres figures de style, peut saisir, et que l’écrivain utilise pour parvenir à ses fins. Le monde s’écrit, le poème est poème, monde de papier et pas uniquement monde organique. L’écriture l’élargit, ou le rétrécit tellement qu’il en devient plus visible, obligeant tacitement à entrer dans une quadrature difficile à estimer, celle du ciel poétique. Ainsi, expliquer ne sert qu’à justifier une impression, mais rien au-delà.
D’ailleurs, pourquoi cherche-t-on le beau ? Faut-il se jeter dès lors dans l’épais massif du sublime ? Ces quelques lignes hâtives ne répondront pas. La qualité esthétique est telle, que la penser, la définir ne dit rien d’elle. Elle persiste comme calque d’une intensité de la sensation, souvent visuelle, et qui devient littérature discrètement, et pousse le lecteur dans sa psychologie personnelle du beau, dans sa pensée en quelque sorte de la chose esthétique, qu’il perçoit comme vraie et cependant déformée par le génie de l’auteur.
Il paraît ainsi que cette rencontre avec la beauté, se fait quand même à l’insu de celui qui opère dans son champ d’action. Car il n’y a pas (heureusement !) de volonté du beau. Il s’essentialise, triomphe, règne parfois sur l’esprit de l’artiste, mais rien ne l’explique. Le beau est mystère et comme mystère il n’existe que brûlé d’un feu, découvert, mis à nu.
Didier Ayres