Jean-Luc Maxence, Tout est dit ?

Le poème et sa réalité

Tout est dit ? Et déjà on voit com­ment le poète nous indique sa voie. Du reste, cette ques­tion s’élargit à une autre : qu’est-il dit?
Selon qu’il s’agisse d’une confes­sion, qui dépasse alors le simple état de la révé­la­tion, la simple angoisse, il s’agit de dire autre chose, une réa­lité per­son­nelle, liée à une scène inté­rieure, un théâtre où le désir en son inquié­tude et par là même, sa joie, bizar­re­ment — car le désir se satis­fait — se che­vauchent et se complètent.

Je cite­rais pour expli­quer cette ambi­guïté, le mot : sperme. Jean-Luc Maxence l’utilise à plu­sieurs reprises. Il s’agit bien sûr d’un élé­ment de fécon­da­tion, de sub­stance fer­tile, d’un liquide sémi­nal qui est en rela­tion directe avec l’acte sexuel, désir, fin du désir, crois­sance du désir, d’un autre désir, d’un désir devenu double ici et anxieux.
Dans cette fer­tile épi­thète se cache un peu de la mort – celle par exemple que le poète semble tenir en joue devant celle qu’il aime.

Le feu lyrique de cette pro­so­die est à mon sens la réus­site de ce recueil. Car der­rière se cachent en quelque sorte les véri­tés de l’adolescence en ses pre­mières mani­fes­ta­tions psy­chiques et en rela­tion avec un corps andro­gyne, qui doit accep­ter une forme bio­lo­gique qui fait peur et reste incer­taine. Ainsi, l’aspect signi­fiant et signi­fié du « sperme » comme déno­mi­na­tion m’a frappé.
Non seule­ment comme un terme qui se recrée autant qu’il se sub­sti­tue à ce qui est réel­le­ment arrivé au poète, que comme image du plai­sir et de la force qu’il prodigue.

Bien sûr, hors de cette méta­phore filée, il reste une ode à l’amour. Ode à l’aimée, que l’on sent d’une par­faite sin­cé­rité, faite de sen­ti­ments lyriques disais-je, mais sur­tout d’une pré­ci­sion extrême et qui de là en sont plus vrais, plus authen­tiques. Le poète, comme je le rap­pe­lais tout à l’heure, peut arrê­ter la mort grâce à cet amour.
Et cet aveu sonne — à l’égal peut-être de la confes­sion en ses appa­ri­tions troubles. Je dirais, à l’instar de Jean-Marie Pon­té­via, qu’en par­lant de pein­ture il affirme que c’est l’éclat qui est nécessaire.

Ô mon secret Ô ma maison

Nous étions deux doigts sans même main

Deux mains sans même corps

Il ne nous res­tait plus qu’à mou­rir d’un siècle à l’autre

Comme on ferme un cer­cueil à minuit

Dans le silence des ter­reurs froides…

Donc, on tra­verse dif­fé­rents états émo­tion­nels. On va du pro­fane au sacré, de l’ambiguïté à la très grande clarté de l’amour, on se tient en équi­libre devant cette poé­sie qui dit et ne dit pas, qui laisse appa­raître de la vérité en sa nature phy­sique et méta­phy­sique, poé­tique et bio­gra­phique.
Ce retour à la bles­sure reste à mon sens, un déses­poir, une com­mu­ni­ca­tion sans fin, une com­mu­nion avec tant de dou­leur et de détresse, tant d’amour phy­sique aussi, que seul le poète est capable de résu­mer en un uni­vers cohé­rent et stable.

Et s’il y a un peu de Jean Genet, le poème ici ne dénie aucune réa­lité. Il va sans peur devant lui-même.
Il conserve cepen­dant avec bon­heur un mys­tère, une dou­leur supé­rieure que même la mort ne com­prend pas.

Il faut donc vivre, et ainsi, tout est dit.

didier ayres

Jean-Luc Maxence, Tout est dit ? , éd. Le Nou­vel Atha­nor, 2020 – 15,00 €

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