Antoine Albertini, Banditi

La Corse noire

Une simple piqûre d’abeille a eu rai­son de César Orsini. Il venait d’avoir 74 ans et avait régné sur un empire pla­né­taire de la drogue. Mais, dans l’édition de Corsica-Matin, seules deux colonnes en page 8 relatent le décès d’un estimé conci­toyen, constate cet ex-policier devenu enquê­teur privé. Celui-ci se rend chez un maire qui lui a demandé un rap­port sur les acti­vi­tés de son neveu en arrêt mala­die. Le rap­port est si édi­fiant que l’édile lâche : Neu­la­tac­cius.
Puis il rejoint Fabien Maes­tracci, un natio­na­liste avec qui il a noué des liens ami­caux. Celui-ci est inquiet, son oncle de 86 ans a dis­paru depuis quatre jours. La police est venue, avec un chien, sans résul­tats. Alors qu’il cherche des indices dans la mai­son de l’oncle, son unique voi­sine lui raconte que le chien s’est arrêté devant le palazzu Ange­lini à la sor­tie du hameau. C’est dans un abri de jar­din, au bout du parc, que l’ex-policier découvre les restes d’un cadavre. Vite iden­ti­fié, il s’agit d’un voyou ita­lien, là depuis une bonne quin­zaine d’années.

C’est par la radio qu’il apprend la mort de Fabien, tué d’une balle dans le dos. À son enter­re­ment, trois jours plus tard, il est appro­ché par l’ex-patron de FLNC-Canal Opé­ra­tion­nel. Celui-ci lui demande de retrou­ver l’épouse de Fabien parce qu’elle est en dan­ger. Très réti­cent à prendre cette affaire, il est appâté lorsque l’ex-patron lui assène : “…je peux aussi vous aider à com­prendre ce qui est arrivé à la femme que vous aimiez.
Le récit passe entiè­re­ment par le per­son­nage prin­ci­pal qui reste ano­nyme, aucun nom ni pré­nom ne l’identifie. Cet enquê­teur, ren­con­tré dans le pré­cèdent roman (Mala­morte, JC Lat­tès — 2019), a perdu sa com­pagne par­tie sans expli­ca­tions il y a cinq ans. Depuis, il a som­bré et picolé plus que de rai­son, ce qui a amené une mise au pla­card dans la police. Il a démis­sionné et il accom­plit la seule chose qu’il sait faire, enquê­ter pour des affaires pri­vées. Cepen­dant, il n’en prend que pour encais­ser assez d’argent afin de tenir une semaine ou deux, en fonc­tion de sa consom­ma­tion d’alcool.

Avec ce per­son­nage pers­pi­cace, enquê­teur de talent, le roman­cier renoue avec ces romans poli­ciers du genre hard-boiled, ce roman noir popu­la­risé après la seconde guerre mon­diale où des détec­tives, pri­vés ou non, fai­saient une consom­ma­tion immo­dé­rée d’alcools et de coups de poing. Autour de ce per­son­nage, c’est la vision d’une Corse pro­fonde qui sur­git, la Corse non tou­ris­tique, avec vue sur toutes les convul­sions des qua­rante der­nières années entre natio­na­listes et l’État fran­çais.
L’auteur place au sein de son intrigue toutes les liai­sons dan­ge­reuses entre truands, natio­na­listes, bar­bouzes, la mou­vance selon les par­tis poli­tiques au pou­voir, quand l’île ser­vait de base arrière aux mou­ve­ments mafieux et ter­ro­ristes ita­liens. Il fait resur­gir des situa­tions, des pro­ta­go­nistes et leurs fan­tômes, les cor­tèges de tue­ries et de reniements.

Il brosse des por­traits au cor­deau, au vitriol. Il expli­cite ce qu’était le sys­tème corse et son équi­libre et fait la des­crip­tion de la perte de l’âme des habi­tants face au crime orga­nisé et aux finan­ciers. Avec beau­coup d’humour, un style alerte, un ton tru­cu­lent, vivant, qui rap­pellent celui du regretté Phi­lippe Car­rèse, il émaille son intrigue de mul­tiples remarques, images, réflexions tans socié­tales que locales. Il aborde des domaines très variés, des anno­ta­tions qui peuvent pas­ser inaper­çues mais qui illus­trent une connais­sance appro­fon­die des sujets évo­qués.
Ainsi, quand il cite Napo­léon Ier, il rap­pelle que celui-ci a bradé les Amé­riques. Il manie un humour sar­cas­tique, sou­vent noir, par­lant de l’interview d’un auteur du cru acharné à cou­rir après un des­tin d’écrivain, une grève dont per­sonne ne com­pre­nait l’origine et les moti­va­tions… Il ne recule pas devant des des­crip­tions bru­tales mais si évo­ca­trices quand il raconte ce qui sort des sacs pou­belles éven­trés qui s’entassent à cause d’une grève, des scènes de pas­sage à tabac…

Avec Ban­diti, Antoine Alber­tini monte la marche qui le fait accé­der à un des­tin d’écrivain tant son roman est fort, pre­nant, docu­menté, son intrigue ten­due et son héros si atta­chant par son humanité.

lire un extrait

serge per­raud

Antoine Alber­tini, Ban­diti, JC Lat­tès, coll. “Grands romans fran­çais”, mars 2020, 384 p. – 20,00 €.
ver­sion numé­rique — 14,99 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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