Dans un livre qui s’enracine dans l’expérience de la catastrophe et de la famine qui s’empara de l’Europe en 1816, Matylda Hagmajer recrée un monde aussi mythique que réel là où règnent la féminité et un espace de la rencontre entre diverses classes sociales.
La Genevoise exprime et explore un monde que nous croyions dépassé : avec le Covid19 il redevient sensible et nous rappelle au peu que nous sommes là où deux femmes se détachent de l’ombre. Elles s’ouvrent à la lumière au moment oùù pendant plus d’un an le soleil a disparu.
Matylda Hagmajer, Le soleil était éteint, Slatkine, Genève, 2020 — 24,00 €.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Les images dans ma tête qui me crient d’être mises en mots.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Mon plus grand rêve était d’être publiée en tant que romancière. Ce rêve est réalisé, et il ne demande qu’à se poursuivre.
A quoi avez-vous renoncé ?
À une carrière en entreprise. Mais sans regrets, car j’ai besoin de liberté et pour moi, « Écrire, c’est vivre sans frontières. » C’est mon motto.
D’où venez-vous ?
Je viens d’un pays qui a beaucoup souffert, d’une famille de héros qui n’ont eu de cesse de me remplir d’histoires depuis ma plus tendre enfance.
Qu’avez-vous reçu en « dot » ?
La volonté d’avancer malgré les obstacles, la conscience de chercher à trouver sa place dans le monde.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Celui de regarder mes enfants. Mais je crois que c’est en fait un grand plaisir, à l’instar de la randonnée, une des activités qui m’inspirent le plus.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains ?
Nous sommes tous différents. Mais au-delà d’un style d’écriture propre, la spécificité de mes écrits tient dans la descriptions d’épisodes historiques inédits que j’anime grâce à des recherches dans les sources. Mais sans toutefois oublier de nourrir mes personnages ! Mes protagonistes ont des préoccupations auxquelles les lectrices et les lecteurs peuvent s’identifier aujourd’hui. Quelqu’un m’a dit l’autre jour que mon roman Le soleil était éteint offrait une lecture presque dystopique.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le printemps, de Botticelli. Sa force féminine, la nature, le mythe, la puissance des éléments.
Et votre première lecture ?
C’était un « Oui-Oui » ; j’étais petite et je ne savais pas s’il fallait lire les chapitres dans l’ordre ou si on pouvait les piocher au hasard ! À part cette anecdote, j’ai toujours été une grande lectrice et il est un livre qui m’a particulièrement marqué dans mon enfance. Mais impossible de retrouver le titre ni l’auteur !! C’est l’histoire d’une jeune fille maladroite qui s’est révélée en vendant des tissus sur un marché en Orient. La description des étoffes qui prenaient vie entre ses doigts a marqué mon imaginaire et je me demande si ce n’est pas à ce moment que le désir d’écrire est né.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Tout dépend de mon humeur, de mes besoins du moment. Je suis très éclectique et je peux me laisser tenter autant par la Traviata de Verdi que par le Rap de Dooz Kawa, en passant par des sets électro ou du rock bien tranché.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Il est rare que je relise des livres. Pourtant… il y en a deux dans lesquels je me suis replongée : Soie d’Alessandro Baricco, pour son mouvement poétique et tout ce qu’il a dit en si peu de mots, et “Moderato cantabile” de Marguerite Duras, pour son protagoniste féminin qui m’a emmenée aux confins des émotions.
Quel film vous fait pleurer ?
Presque tous. Il y a toujours un passage qui m’émeut. Mais j’ai fini dans un océan de larmes devant “Dancers in the dark” de Lars von Trier et “La Môme” d’Olivier Dahan.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Mes ancêtres et mes descendants. Mais je n’arrive pas à arrêter une image de moi-même.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Il y a surtout une personne à qui j’aurais aimé écrire : Ella Maillart. Une femme que j’admire pour le choix de vie qu’elle a fait et son rôle de précurseuse dans l’exploration de contrées inconnues. J’aime son regard sur le monde et ses habitants.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le Mont-Blanc. Indéniablement. Pour sa forme, son énergie, son éternité, les mythes qui l’habitent, les conquêtes qui le désirent.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Werner Bischof dont j’admire les photos de montagne, intimistes et splendides tout à la fois. Tracy Chevallier dont les romans m’emmènent dans des récits proches de mes intérêts. J’apprécie aussi énormément l’artisanat, il n’y a pas que l’art. J’aime sentir les pièces qui vibrent dans mes mains, qui sont si proches de leurs créateurs.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un tableau d’Edward Hopper de sa série au bord de l’océan ou de Marc Rothko (bleu-vert). — Pourquoi ne pas rêver, puisque vous posez la question !
Que défendez-vous ?
Que chacun ait un espace de liberté pour se créer, dans le respect de l’autre et de l’environnement. Mais aussi que les jeunes ne restent pas sur le carreau et puissent trouver une formation qui les conduise à un emploi.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est trop cérébral et pas assez dans les tripes. Le temps que j’y réfléchisse et l’amour passe.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
« Non. » Je ne tiens pas particulièrement à retenir toute personne qui m’interpelle. Je préfère choisir mes interlocuteurs.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Qu’est-ce qui me fait peur ? Vaste et intime débat…
Entretien et présentation réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 3 mai 2020.