Celui qui a reconquis le coeur de son amoureuse du collège : entretien avec Laurent Thinès (La Garde de Nuit (réparer les soignants) )

Il existe dans l’oeuvre de Laurent Thi­nès une pro­fon­deur de vue liée à une haute idée de la poé­sie. Riche de plu­sieurs cultures tant sur la plan social que géo­gra­phique, l’auteur ouvre le monde dans sa com­plexité par une atten­tion constante aux autres.
Cha­cun de ses livres est un mani­feste de leur propre intran­qui­lité et de la sienne.

Entre­tien :

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’odeur du café mêlée de bai­sers et plus si affinités.

Que sont deve­nus vos rêves d’enfant ?
J’ai eu la chance de par­ve­nir à faire presque tout ce que je sou­hai­tais. J’ai même réussi à 42 ans à recon­qué­rir le coeur de mon amour de col­lège… Petit, je vou­lais soi­gner les ani­maux et voilà que je passe le plus clair et le plus sombre de mon temps au che­vet du plus ter­rible d’entre eux : l’être humain. Pour autant, mes rêves d’enfant, ou plu­tôt mes aspi­ra­tions, vivent tou­jours en moi: contem­pla­tion et pro­tec­tion de la Nature, défense de la jus­tice et la liberté, quête d’amour et d’amitié. Ils s’expriment dans ma poé­sie, je crois.

A quoi avez-vous renoncé ?
A vivre inté­rieu­re­ment apaisé et à nager le 50m en moins de 30 secondes.

D’où venez-vous ?
Je suis un sau­mon sau­vage. Je suis né dans les corons, j’ai passé mon enfance dans le pays de Pagnol et mon ado­les­cence sur l’île Bour­bon. Puis je suis revenu dans la cité pho­céenne pour faire mes études de méde­cine et fina­le­ment, j’ai migré dans le grand Nord pour pour­suivre ma for­ma­tion neu­ro­chi­rur­gi­cale et… me repro­duire à la source.

Qu’avez-vous reçu en dot ?
J’ai reçu en héri­tage la fidé­lité en ami­tié, l’amour de la belle ouvrage qu’elle soit artis­tique ou ouvrière et l’humanisme.

Un petit plai­sir — quo­ti­dien ou non ?
M’asseoir sur ma ter­rasse et obser­ver les oiseaux ou le vent qui jouent dans les arbres.

Qu’est-ce qui vous dis­tingue des autres poètes ?
Un éclec­tisme dans la forme et le fond qui répond à ma peur vis­cé­rale de la rou­tine et de l’ennui. La poé­sie est un médium dont j’aime explo­rer les mul­tiples facettes mais aussi faire émer­ger de nou­veaux hori­zons. A l’origine de cha­cun de mes poèmes, il y a cepen­dant tou­jours une émo­tion forte qui m’étreint et que j’essaye de faire res­sen­tir au lec­teur par les mots. Je ne suis pas très fan de la poé­sie méta­phy­sique ou philosophique.

Com­ment définiriez-vous votre approche du réel ?
J’appréhende le monde exté­rieur par la cap­ture à la fois contem­pla­tive et à la fois chi­rur­gi­cale des infimes par­ti­cules émo­tion­nelles por­tées par chaque objet, chaque être animé, chaque situa­tion rela­tion­nelle, chaque musique, chaque pay­sage… elles me trans­percent lit­té­ra­le­ment via mes cinq sens puis se réper­cutent dans mon crâne de Fara­day en mul­tiple asso­cia­tions de sen­sa­tions, de sou­ve­nirs, d’idées qui tournent sans trêve ni repos et dont par­fois émerge un poème.

Quelle est la pre­mière image qui vous inter­pella ?
Ques­tion dif­fi­cile : peut être « Le champs de blé aux cor­beaux » de Vincent Van Gogh, par l’harmonie des cou­leurs, la beauté du pay­sage, le mou­ve­ment imprimé par la tech­nique au cou­teau et par la vio­lence des émo­tions de l’artiste.

Et votre pre­mière lec­ture ?
“Le petit prince” d’Antoine de Saint-Exupéry, la plus belle oeuvre poé­tique pour les enfants écrite à ce jour.

Quelles musiques écoutez-vous ?
Encore une fois, c’est le grand écart émo­tion­nel, de la contem­pla­tion du chant gré­go­rien, à l’explosion de colère et de rage du rock-métal en pas­sant par la poé­sie du jazz, le roman­tisme de la chan­son fran­çaise ou l’exotisme de la musique créole. Comme je le fais en chi­rur­gie ou en poé­sie, j’essaye d’ouvrir mes hori­zons et de gla­ner le meilleur dans chaque style.

Quel est le livre que vous aimez relire ?
De manière géné­rale, je n’aime pas le recom­men­ce­ment des choses, ni le relire, ni le revoir… je suis plu­tôt en quête de nou­veauté que de renou­veau. La vie est trop courte.

Quel film vous fait pleu­rer ?
“Le cercle des poètes dis­paru” : la scène du départ de John Kea­ting, qui sym­bo­lise le com­pa­gnon­nage, la force sub­ver­sive de la poé­sie et la capa­cité de l’homme à s’indigner qui le rend noble.

Quand vous vous regar­dez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme aux mul­tiples visages qui devrait faire un peu plus dor­mir sa propre cervelle.

A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A mon ancien chef de ser­vice et men­tor qui m’a appris mon métier et failli détruire ma vie.

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
L’hôtel du poète à la Fon­taine du Vau­cluse : écrin de quié­tude bruyante et de chlo­ro­phylle bouillon­nante, patrie de René Char.

Quels sont les artistes et écri­vains dont vous vous sen­tez le plus proche ?
Les peintres impres­sion­nistes et Rim­baud pour leur tra­vail de la cou­leur, de la lumière et des émo­tions, Gus­tave Cour­bet et Niki de Saint-Phalle pour leur dimen­sion contes­ta­taire, Coluche et Jacques Pré­vert pour leur proxi­mité popu­laire, Fer­nando Pes­soa et les auteurs de haï­kus japo­nais pour leur soli­tude contem­pla­tive, Ray­mond Devos pour l’amour des jeux de mots, Chris­tophe Tar­kos pour son humour déses­péré, Rodin et Vic­tor Hugo pour leur oeuvre titanesque.

Qu’aimeriez-vous rece­voir pour votre anni­ver­saire ?
Une cape d’invisibilité.

Que défendez-vous ?
La liberté, le res­pect de l’humain et de la bio­sphère, l’équité sociale, l’hôpital public, la cause contre les armes sublé­tales, de faire du bruit en man­geant et de tuer des ani­maux ou des être humains par pur plaisir.

Que vous ins­pire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est don­ner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Je dirais plu­tôt: « Le vrai amour, c’est redon­ner quelque chose que l’on avait pas à quelqu’un qui n’en vou­lait pas ».

Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la ques­tion ? »
J’adore cet humour de l’absurde de poli­ti­cien en cam­pagne élec­to­rale et j’aime bien en semer par-ci par-là dans mes textes.

Quelle ques­tion ai-je oublié de vous poser ?
Qu’attendez-vous encore de la vie ?

Pré­sen­ta­tion et entre­tien réa­li­sés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 1er mai 2020.

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