Est-ce encore de l’anticipation ?
Depuis quatre ans, Florian Starck, un ex-journaliste lanceur d’alerte sur le climat et les périls engendrés par la civilisation consumériste, s’est installé dans les Alpes de Haute-Savoie. Il survit sommairement dans une cabane qu’il a construite et des produits d’un maigre potager. Il récupère l’eau de la condensation.
Sur la planète, les catastrophes climatiques s’enchaînent, l’eau potable devient rare, les émeutes et les pillages sont monnaie courante.
Claire, la sœur de Florian, ministre de l’Intérieur, le fait amener près d’elle par deux agents. Leur frère aîné, Pierrick, a disparu. Sous le couvert d’un reportage et de l’écriture de la biographie d’Alejandro Perez, un magnat de l’Intelligence Artificielle, il menait une mission pour la DGSE. Elle veut que Florian parte à sa recherche en devenant le coach d’un candidat dans le jeu de téléréalité organisé et financé par Perez. Il devra également trouver ce que son frère avait pu découvrir qui a entraîné sa disparition.
Florian repart pour les USA malgré la promesse faite après le décès de son épouse et de sa fille Sandra dans un ouragan. Il est accueilli, dans le complexe construit spécialement pour le jeu, par Perez lui-même qui a entendu parler de lui par Pierrick. C’est d’ailleurs ce dernier qui avait proposé la candidature de son frère à un poste de coach.
Il fait la connaissance de Sofia Lee, la psychiatre engagée pour l’émission. Un homme veut le rencontrer discrètement pour avoir des nouvelles de son frère. Il était son amant. Mais quand Florian fait connaissance avec Zoé, la candidate qu’il doit manager, il s’interroge sur les finalités de plus en plus brumeuses, obscures, de l’émission. Et très vite cela dérape…
Ce roman, qui est aussi un thriller, propose une anticipation à court terme, le cœur du récit se situant en 2035. Cependant, cela fait déjà quatre ans que le héros s’est éloigné d’une civilisation en crise, ravagée.
L’intrigue fonctionne comme une mécanique bien huilée où tout s’enchaîne sans à-coups, en cohérence. Le romancier livre un récit très maîtrisé dans les péripéties, dans l’animation et l’évolution du groupe des protagonistes. Il n’est pas avare de coups de théâtre et de rebondissements, ceux-ci amenés avec une belle virtuosité. C’est prenant, addictif, d’autant que l’on ressent un travail certain de documentation sur les thèmes abordés.
Il donne une belle projection sur les conditions climatiques avec l’élévation des températures, la multiplication des cyclones, tempêtes et ouragans, la raréfaction de l’eau potable. Il met en scène les effets sur la population, sur la déconstruction d’une civilisation consumériste, avec les troubles sociaux de ceux qui ont tout perdu, sur les réfugiés climatiques, sur les bandes de pillards qui ne manquent pas de se constituer.
Parallèlement à la collapsologie, le romancier aborde la question des Intelligences Artificielles de plus en plus performantes, des robots de plus en plus perfectionnés et des androïdes qui sortent peu à peu du domaine de la science-fiction.
Il mixe le tout avec un jeu de télé-réalité appelé Survivre où il place suffisamment de zones d’ombre pour attirer et mobiliser l’attention. Avec son héros comme coach d’une candidate, il fait découvrir une partie de l’envers du décor de belle manière.
Il évoque Le minimum de Munder avec agacement, fait état du test de Turing décrit dès 1950 dans la publication Computing Machinery and Intelligence. L’humour n’est pas absent avec les relations entre le coach et la candidate, ou lorsque Florian se retrouve à converser avec Chloé, une IA, et qu’il présente des excuses à un programme informatique tant l’empathie est grande.
Vincent Hauuy, qui s’est illustré dans le thriller, propose avec ce nouveau roman une prospective hallucinante, une belle réussite tant pour le récit que pour la variété et l’abondance de ses composantes.
serge perraud
Vincent Hauuy, Survivre, Hugo, coll. “Thriller”, mars 2020, 432 p. – 19,95 €.
version numérique EPUB3 - 4,99 €.