Un conclave rassemble tous les éléments pour fasciner les historiens, les médias et le grand public : la transformation de la papauté en république élective, l’absence de candidats déclarés et la surprise de l’élu, le secret absolu qui pèse sur les scrutins, les manœuvres et coups bas qui jalonnent le choix du successeur de Saint Pierre.
Certains conclaves se détachent des autres par le contexte dans lequel ils ont lieu, par la personnalité du nouveau pape, par le tournant que l’élection constitue sur le long terme. Pensons à ceux de 1939 et d’octobre 1978. Celui de 2013, qui porte sur le siège pétrinien et le cardinal Bergoglio, entre sans aucun doute dans cette catégorie.
Bien sûr, le secret du conclave reste une barrière contre laquelle bute le chercheur. Mais d’une part il faut toujours s’intéresser à la période du pré-conclave, non couverte par le secret, et d’autre part compter sur les indiscrétions et les fuites organisées par certains cardinaux[1].
A cet égard, le journal tenu par le vaticaniste irlandais Gerard O’Connell apporte des informations capitales sur la marche vers le pouvoir de celui qui est aujourd’hui le pape François.
Disons pour commencer que l’auteur est un proche ami du cardinal Bergoglio. C’est à la fois la force et la faiblesse du livre puisque cette proximité nous permet d’approcher au plus près le prélat argentin, de connaître en détails ses faits et gestes et l’évolution de sa pensée pendant le pré-conclave, mais elle ne permet pas toujours à Gérard O’Connell de prendre la distance nécessaire pour porter sur lui un regard objectif, à défaut d’être critique.
De toute façon, ce n’est pas le but du journal. Nous en retiendrons trois éléments.
Le premier nous confirme le coup de tonnerre qu’a été la démission de Benoît XVI que personne ne vit venir. Les entretiens que l’auteur eut alors avec plusieurs prélats montrent que cette décision historique fut interprétée de différentes manières au sein des cercles du pouvoir du Vatican et qu’elle continue de poser bien des questions.
Le second concerne le poids des médias désormais considérable. Avec raison, O’Connell note que « si dans le passé c’étaient les superpuissances, autrement dit les Etats, qui s’efforçaient de faire pencher l’élection du pape en leur faveur, ce qu’on constate de nos jours est une volonté de faire peser sur le scrutin le poids de l’opinion publique, souvent sur la base de jugements auxquels échappe la dimension intrinsèquement spirituelle de ce moment particulier dans la vie de l’Eglise. »
En effet, quand on connaît l’anticatholicisme de la majorité des médias, l’apostasie des occidentaux et l’ignorance journalistique des res religiosae, il y a là de quoi s’inquiéter.
Enfin, troisième et dernier élément, on suit jour après jour l’avancée de la candidature du cardinal Bergoglio. Bien des papabili tenaient la corde, comme Scherer, Ouellet et surtout Scola (notons que le Philippin Tagle s’est fait remarquer…), avant que ne s’impose le nom du cardinal argentin. Si l’on en croit le récit d’O’Connell, cette candidature ne prit de la consistance qu’au dernier moment, alors qu’aucune autre ne s’imposait, d’où la surprise totale de tous les commentateurs à l’annonce de l’élu.
L’auteur écarte fermement toute idée de « manœuvre » dirigée par le groupe des cardinaux progressistes dit de Saint-Gall. Soit. Mais nous renvoyons le lecteur au délicieux journal de Michel de Jaeghere, Un automne romain. Il y découvrira la ferme volonté des plus progressistes de contrôler l’élection du successeur de Jean-Paul II.
La victoire de Ratzinger, contre lequel Bergoglio avait été utilisé au conclave de 2005, fut pour eux une amère défaite.
frederic le moal
Gerard O’Connell, L’élection du pape François, Artège, mars 2020, 586 p. — 24,00 €.
[1] Frédéric Le Moal, Pie XII. Un pape pour la France, Paris, Le Cerf, 2019.