Pourquoi le langage
image ci-desus : Le Livre d’Eli, Albert Hughes & Allen Hughes, 2010
Quelle puissance nous a été accordée par le développement de l’être humain, devenant humain justement en associant la fabrication de l’outil au langage, puis en créant l’écriture, conçue initialement pour tenir des registres.
Ces listes faisaient état d’une sorte de symbolisation des quantités, ramenées à des échéanciers écrits, en une magie supérieure et extraordinaire, dénonçant ainsi l’évolution formidable provoquée par cette découverte.
Comment éviter l’étonnement stupéfiant des mots esprit, amour, mort, être, savoir, temps, qui gagnent noblesse et force par la création de ce lexique ?
Il y a, à mon sens, quelque chose du mana dans cette possibilité qui nous est donnée de devenir et rester humain par l’appropriation des vocables et des épithètes, lesquels nous ont aussi conduits au devoir moral, étape supplémentaire de l’élévation de notre condition.
La langue répare. Elle est faite pour réunir des interlocuteurs en même temps qu’elle offre la possibilité de vaquer à l’imaginaire qui, de l’énumération en Mésopotamie aux pages de la Genèse, inscrit l’homme dans une filiation qui s’établit dès que les idiolectes deviennent eux-mêmes, se réalisent comme idiolectes. La nature et le réel en dépendent. Sorte de manteau qui protège. Appropriation symbolique. Un pont lumineux au-dessus des affaires humaines.
À l’image des bâtiments qu’enveloppent Christo et Jeanne-Claude. C’est là un art du langage qui fait liaison entre la chose emballée et l’emballage.
Le discours accentue la puissance de l’esprit, de l’amour, du ciel, du savoir parce qu’il nomme, il dénomme.
Depuis les listes de quantité d’huile ou de grain, nous allons vers des créations au carré qui consistent à mettre en valeur des lieux humains dans de la toile colorée, agrandissement de la symbolique du Pont Neuf ou du Reichstag, qui redouble la signification et désigne notre état d’être.
L’homme, dès le premier homo sapiens sapiens, est homme de culture.
Il se distingue de l’abeille ou de la musaraigne, non pas à cause du poids de son cerveau ou de la mécanique de son expression d’insecte, mais par l’espèce de musique des paroles, mosaïque de signes écrits qui frappent la réalité, qui nous distinguent donc du régime naturel pour nous offrir un monde de symboles, de nuits expliquées, d’une mort rendue au rituel qui se perd dans notre ascendance au travers des millénaires, et pour finir, comme homo religiosus.
Didier Ayres