Dire Je
image ci-dessus : Pablo Picasso derrière une fenêtre, 1952 Photographie par Robert Doisneau
Énonciation. C’est cela qui me vient directement à l’esprit, la possibilité que donne le Je d’énoncer, de s’énoncer. À partir de ce pronom personnel presque équivoque, on peut avancer un discours, le discours de soi, dans la mesure où tout discours en définitive, parle toujours de soi, dénonce implicitement ce que l’on est, ou explicitement aussi parfois.
J’accorde une valeur ambiguë au Je, lequel ferme le soi dans des limites néanmoins floues, tout en visant quand même le cœur de ce que l’on est, y compris dans les altérations de l’identité, la complexe vie de toute psychologie, moi dédoublé, moi en péril, moi souffrant tout simplement. Car il n’existe qu’intrigué par l’altérité du Tu, d’un autrui, sans lequel la personne n’existe pas, reste sans contour, sans définition, sans présence.
D’ailleurs, le mot personne, qui s’accorde bien à mon propos ici, relève de deux registres totalement opposés, désignant un être et désignant un non-être : être une personne et n’être personne.
Ainsi j’interprète le To be or not to be, comme cette indécision caractéristique de la personne, qui doit choisir l’être ou le non-être, choisir dans sa propre identité entre deux points de vue : celui de l’énoncé, c’est-à-dire, la part souterraine, la part inerte de soi, ou celui de l’énonciation, principe actif, vital, ouvert – tout en sachant que ce choix nécessite la coupure d’un poème, d’une citation, d’une strophe, d’une réplique poétique où s’étend ensuite une dissertation sur le dormir, dormir… rêver peut-être que Shakespeare décrit comme une espèce de feu.
Tanguer, vaciller, hésiter toujours, c’est la tâche impérative d’un soi-même inquiet et curieux. Dire Je revient à prononcer sa personne, comme on pourrait vaincre une absence, au profit de la sécurité d’un état de la conscience de soi qui ne cesse ainsi jamais de se questionner sur le vide, qui doute, qui bascule entre un To be et un Not to be n’acquérant nulle certitude sur la mort, mais devenant témoin, jouant, actualisant le Je.
Ainsi, la disparition — le manque, cette omniprésence impossible -, que devient-elle ? Disant cela, ai-je disparu au milieu de moi-même ? Oui, sans doute un peu, peut-être. Je me dérobe, j’extrapole pour me projeter ailleurs, hors de cette ossification matérielle de ma personnalité. J’inspecte ma nature. Car ce Je-là est un tremblement de la connaissance intime, d’où dépend pour finir toute vraie connaissance.
La certitude n’est nécessaire qu’au non-être, quand cependant on n’obtient jamais ce qui court comme le feu follet de l’imagination. Mais sans doute ai-je trop dit ou pas assez.
Il ne me reste que cette faculté du texte en quoi j’ai foi, qui est celle de joindre en autrui sa propre stipulation, en une sorte de narration souveraine.
« Je » narre, voilà tout.
Didier Ayres