Les mécanismes de la violence
De nombreux thèmes gravitent autour d’une intrigue policière. Ils illustrent la complexité des attitudes, des sentiments et font état d’une diversité d’opinions. Le point central de l’histoire ici s’appuie sur les suites d’un attentat, sur des traumatismes qu’il provoque pour les survivants, en l’occurrence, ici, des proches de la victime.
Les réactions sont diverses face au deuil. Pour les uns, c’est la fuite, la recherche d’un lieu où panser les blessures. Pour d’autres, c’est la volonté de vengeance, le désir de tuer les responsables de ces crimes. Certains recherchent inconsciemment la compensation, une voie qui autorise le rachat d’une culpabilité.
Un village avec son clocher, sa halle, sa place principale, son cimetière où a lieu l’enterrement du père d’un jeune homme qui culpabilise car s’il avait été là plutôt que de faire son devoir…
Un contrôle de vitesse, opéré par deux gendarmes, conduit à la verbalisation du conducteur qui roulait 19 km/h au-dessus de la limite. Ce conducteur pressé se rend à Saint-Jean de Monestier pour l’été.
À la terrasse du café, des gendarmes écoutent les craintes d’habitants car des manouches sont revenus dans un village voisin. Jimmy arrive. Il y a eu un appel concernant une plantation de cannabis. Sa collègue, avec qui il fait équipe le lendemain, lui propose d’aller l’arracher. Alors qu’ils finissent de remplir les sacs poubelles, un hennissement intrigue Jimmy. Il se précipite pour voir passer la jeune fille qui était dans la voiture qu’il a verbalisée monter à cru un cheval.
À la gendarmerie, Jimmy est face à la jeune cavalière et attend son père qui a été convoqué. Vincent Louyot est artiste peintre. Il est venu au village avec Lisa pour qu’ils fassent leur deuil. Son épouse a été tuée lors un attentat à Paris.
Peu à peu, Jimmy va s’immiscer dans la vie de Vincent, dans celle de Lisa…
Les scénaristes intègrent une paranoïa sécuritaire, ajoutent cette mutation climatique qui engendrent des phénomènes angoissants pour la population, montrant que la radicalisation religieuse est un élément révélateur de mouvements contraires, divers et variés.
Et Jimmy, ce jeune gendarme zélé et ambitieux, se trouve entraîné dans un processus qu’il ne maîtrise plus. Ce personnage central porteur de rudes désarrois se trouve confronté à la haine, au désir, voire au besoin, de vengeance et à l’amour.
Avec une galerie de personnages restreinte, les scénaristes font passer une belle gamme de sentiments et d’émotions jusqu’à une chute qui interroge, qui laisse dans l’expectative. Ils proposent des protagonistes ambigus, à la frontière entre le bien et le mal, ni innocents, ni coupables.
Les auteurs ont retenu une zone montagneuse, un village rural comme il y en a tant où se retrouvent des populations qui s’interrogent, qui interrogent et se trouvent fort démunies pour démêler le vrai du faux. Alors toutes les opinions se font jour.
Le dessin en noir, blanc, gris, avec de larges à-plats, est d’une synthétisation forte mais d’une expressivité puissante. Le cadre est magnifique, ce village inspiré d’un existant, prend corps et s’impose comme un véritable bourg. Avec des traits allant à l’essentiel, avec des visages esquissés, aux regards souvent masqués par des lunettes de soleil, Bastien Vivès donne des planches superbes par le minimalisme, laissant suggérer, imaginer tout en étant guidé de façon imperceptible.
Avec Quatorze juillet, c’est toute une vision de la société, ses contradictions, sa violence physique comme émotionnelle qui sont présentées avec une histoire d’amitié, d’amour impossibles.
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serge perraud
Bastien Vivès & Martin Quenehen (scénario), Bastien Vivès (dessin), Quatorze juillet, Casterman, mars 2020, 232 p. — 22,00 €.