Une manipulation machiavélique
Mylène Archère a 45 ans. Elle est à la tête d’un cabinet d’investissements et visite un studio d’enregistrement à vendre depuis deux jours, au cœur de Paris. Un jeune bassiste, de 20 ans de moins qu’elle, joue avec un Charleston, cette partie de la batterie dont le son électrise Mylène. Ce 26 mars 2004, sa vie va basculer et pendant un an ils ne vont pas se séparer plus de quelques heures. Seize ans plus tard, elle ressent toujours cet intense sentiment de liberté qui ne l’a pas quitté depuis, même dans sa cellule de prison, même dans la chambre de bonne où elle vit maintenant.
Elle a 62 ans et travaille dans un dépôt de vente tenu par Gary, un Gitan, en compagnie d’Anna et de Mathieu. De temps à autre, elle loue un endroit, de la caravane au château, où elle est seule, isolée, pour imaginer la vie qu’elle aurait pu avoir, mais sans regretter cette année merveilleuse.
Elle revit le moment le plus noir de son existence quand Martine, sa visiteuse, lui annonce la mort de Pascal, poignardé dans sa cellule par un codétenu. Elle part dans le Lot, pour un weekend, dans une roulotte totalement isolée. Au matin, elle regarde autour d’elle, remarque une tasse émaillée qui lui rappelle celle qu’utilisait tout le temps Pascal. Puis d’autres éléments attirent son attention au point de réaliser que Pascal vit dans cet endroit quand il ne le loue pas. Elle s’enfuit. Elle revient avec Gary et trouve une boite à lettres au nom de Pascal. Dedans du courrier et même un chèque. Les indices de son existence s’accumulent, le témoignage d’un couple, jusqu’à un mot manuscrit de rupture glissé sous la porte de sa chambre de bonne. Malgré cela, elle continue…
Peu à peu, le lecteur entre dans la vie de Mylène : avant Pascal, avec Pascal, après Pascal. C’est le récit des 400 coups, les raisons de la prison et la quête pour retrouver l’être qu’elle a tant aimé, qu’elle aime toujours comme au premier jour. Elle veut comprendre les raisons de son attitude, sinon les causes de son assassinat. Mais ce n’est pas une romance sentimentale.
L’auteur instille au fil des pages, des révélations, des indices qui permettent de reconstituer le parcours de son héroïne. Mais, en démiurge diabolique, Hervé Commère sème sans cesse de nouveaux signes qui orientent dans une direction, dans une autre, jetant le trouble quant à une réalité palpable.
C’est une mécanique implacable qu’imagine le romancier avec une série d’indications remettant en cause ce qui précède. Pascal a-t-il été tué ? Pourquoi ? S’il est vivant, pour quelles raisons reste-t-il caché ? Pourquoi, alors, toutes ces traces qui font penser qu’il est vivant ? Le romancier décrit à merveille la force de l’amour, un amour absolu, qui aveugle, qui fait perdre tous repères mais qui reste présent dans les pires conditions, face aux funestes divulgations.
Hervé Commère s’impose comme un Maître dans la manipulation des sentiments, dans la description des émotions et dans la construction de récits déstabilisants au possible. Son héroïne est si empathique que l’on prend fait et cause pour elle dans sa quête vers un nouveau bonheur, dans l’espoir de retrouver l’enchantement de l’amour partagé.
Regarde est un roman impressionnant par l’art narratif d’Hervé Commère, par son intrigue qui plonge très loin avec pour moteurs l’Amour, et son pendant, la Haine, soutenue par une galerie de personnages superbement conçus et mis en scène.
serge perraud
Hervé Commère, Regarde, fleuve noir, coll. “Roman policier et thriller,” mars 2020, 320 p. – 18,90 €, format numérique chez 12–21 — 13,99 €.