L’exercice de la brièveté et la passion du réel
Il y a toujours du Beckett chez le regretté Emaz. Comme l’auteur de Fin de Partie, il s’en tient souvent au blanc qui ne croise que quelques mots aussi doux qu’épars, retirés mais saisissants. « Atteindre en mots une certaine intensité de vivre, voilà ce que je demande à un poème, un livre » écrivait Antoine Emaz. Et tout se situe dans l’exercice de la brièveté et la passion du réel.
Sans cette dernière, la poésie n’est rien. Mais Emaz ne prétend pas l’alpaguer par la première mouche venue.
Cela nécessité une ascèse et un effort de distanciation pour être paradoxalement plus à soi et aux autres là où le ressourcement au passé n’a jamais rien de nostalgique. Et si ce qui se dit ne s’écrit qu’en avançant et en « s’effaçant », tout — du moins beaucoup — provient de tréfonds d’où peut jaillir une forme primitive là plus en adéquation avec la sensation et l’épreuve de la vie.
Le métier d’écriture les dégage peu à peu des illusions d’optique et des myopies.
Ce recueil réunit des poèmes parus auparavant dans des éditions à tirage limité. L’ensemble est intéressant car s’y distingue le parcours d’Emaz le quasi silencieux même si parfois résonnait sa “caisse claire”. Il sut que revenir ne serait possible que dans un temps différent. Celui que nous ignorons et qui n’est pas de notre nature humaine. Mais qui sait ?
Un saut dans ce temps peut avoir lieu. Mais nous n’y serons plus pour le connaître et y plonger.
jean-paul gavard-perret
Antoine Emaz, Personne, éditions Unes, préface de Ludovic Degroote, 2020, 63 p. — 16,00 €.