Un prédateur à voix insidieuse
Album voulu comme ambitieux, Secondes tigres à sa première écoute ne séduit pas vraiment. L’auditeur comprend certes que l’ensemble est bien construit avec des alternances de titres syncopés et plus mélodiques, avec aussi une poésie qui sacrifie volontiers à l’utilisations de mots pétards. Mais à le réécouter plusieurs fois se fait jour tout l’intérêt de l’album.
Son auteur est aux antipodes des télés-crochets type “Nouvelle star” ou autres. Que ferait-il dans de telles plaisanteries ? Pour autant, il ne tombe pas dans la chanson française classique que le premier titre “De veine et de hasard” semblerait indiqué.
Avec une voix dont la force est de refuser tout effet, Clément Bertrand installe un univers où la mécanique du vivant se compte sur l’horloge des moments vécus avec juste ce qu’il faut d’ombres charnelles — à coup parfois de clins d’oeil amoureux (“Violoncelle”) et d’une poésie langoureuse dont la douceur est pimentée d’incursions plus précises.
Le prédateur est là mais il avance moins à pas feutrés qu’à voix insidieuse pour séduire celle qui ne sera pas une proie mais son contraire.
Au fil de ce bel album dont le titre est emprunté à Henri Michaux, ce dernier devient l’inspirateur ici d’un corpus plus qu’intéressant par la voie de ses impulsions parfois lentes mais toujours incisives.
jean-paul gavard-erret
Clément Bertrand, Secondes tigres, Modulor, 2020.