Santiago Díaz, Talion

Justice ?

Talion, le titre retenu par le roman­cier, fait réfé­rence à cette célèbre loi, une des plus anciennes dont les pre­mières appli­ca­tions ont été rele­vées dans le Code Ham­mu­rabi. C’est un texte baby­lo­nien qui donne, sur une stèle de deux mètres vingt-cinq de hau­teur, un aspect du droit dans le fonc­tion­ne­ment de la société à l’époque du règne du roi Ham­mu­rabi entre 1792 et 1750 av. J.-C. Il pré­cise, entre autres, la juris­pru­dence rela­tive à une puni­tion égale à l’offense.
Celle-ci a été tra­duite, bien plus tard, dans le Lévi­tique par la célé­bris­sime for­mule : œil pour œil, dent pour dent, citée plu­sieurs fois dans la Bible.

En ce début de soi­rée, une femme a un rendez-vous qu’elle ne veut pas man­quer. Elle est prête à tuer les deux agents qui la contrôlent. À vingt-deux heures trente elle appelle celui qui la rem­place au jour­nal, pour sa pre­mière et sa der­nière inter­view. Elle com­mence : “…tu ne sais jamais com­ment tu vas réagir quand on t’annonce qu’il ne te reste que deux mois à vivre…
Marta Agui­lera a trente-huit ans quand un spé­cia­liste lui diag­nos­tique un glio­bas­tome mul­ti­forme de grade 4. Le stade très avancé de la tumeur ne per­met pas l’opération. Assom­mée, aba­sour­die, elle se demande ce qu’elle peut faire de ces deux mois.

Elle rompt avec son cercle d’amies disant qu’elle part pour un poste de jour­na­liste aux USA. Parmi les fan­tasmes qui lui res­tent à réa­li­ser, elle veut faire l’amour avec une femme. Si cer­taines de ses amies accep­te­raient, elle opte pour la pros­ti­tu­tion. C’est un échec. Quand elle ren­contre deux petites frappes qui la menacent, elle s’échappe. Mais elle se ravise, décide de ne plus jamais fuir et revient vers eux, armée d’une barre de fer. Si elle fra­casse la mâchoire du pre­mier, elle ne peut évi­ter les coups du second. C’est une pros­ti­tuée qui lui sauve la mise et l’emmène pour la soi­gner. Un lien fort va se nouer entre les deux femmes.
Son rédac­teur en chef, à qui elle pré­sente sa démis­sion, lui demande de cou­vrir l’affaire de cette gamine vio­lée et étran­glée qui secoue l’opinion. Elle pourra par­tir après. Ce qu’elle découvre la révolte et quand on ne craint plus la mort…

Ce roman pro­pose deux magni­fiques por­traits de femmes, Marta et Daniela. Marta, qui prend le pseu­do­nyme de Talion se sub­sti­tue à la jus­tice, une jus­tice qui ne condamne pas des cri­mi­nels. Ceux-ci méritent, aux yeux de l’héroïne, la peine capi­tale pour les empê­cher de conti­nuer à nuire. Face à elle, se dresse Daniela, ins­pec­trice de police, dont c’est le devoir de faire régner le droit tel qu’il est ins­crit dans la société où elle évo­lue.
Si Marta s’érige en jus­ti­cière, Daniela doit vaincre sa propre pro­pen­sion à la ven­geance, ayant eu à souf­frir dans sa vie de drames terribles.

Le roman­cier pro­pose un récit d’une belle nature entre­mê­lant avec maes­tria de nom­breux concepts sociaux, de mul­tiples remarques sur la notion de jus­tice et sur ceux qui la servent. Il conçoit, à l’image des indi­vi­dus réels, des per­son­nages aux mul­tiples facettes, ne som­brant pas un mani­chéisme avec des Bons d’un côté, et des Méchants de l’autre. Il dresse des por­traits trou­blants met­tant en balance une souf­france par­ta­gée, les pul­sions incon­trô­lées, incon­trô­lables mal­gré la volonté de soins.
Cepen­dant, il place quelques méchants irré­cu­pé­rables pour qui il est dif­fi­cile, voire impos­sible, de trou­ver des excuses. Il en est ainsi d’un avo­cat qu’il met en scène, un pro­fes­sion­nel brillant, qui per­met aux cri­mi­nels d’échapper à leur châ­ti­ment. Il explore trois grands domaines où la cri­mi­na­lité est la plus révol­tante car elle brise la vie d’innocents et celles de leurs proches.

L’écri­ture fluide, le style dyna­mique de ce livre au sujet bien sombre, offre un moment de lec­ture pas­sion­nant, d’autant que, pour tem­pé­rer la noir­ceur du sujet, le roman­cier fait montre de beau­coup d’humour. Mais, en fili­grane de son pro­pos, il scrute la nature de l’individu et son rap­port à la vio­lence. Marta est-elle deve­nue ainsi à cause de sa tumeur ou le fait de connaître une fin proche et irré­mé­diable lève-t-elle des bar­rières, révèle-t-elle une volonté bri­dée par un ver­nis social ?
Si l’on se pas­sionne pour le par­cours de ces deux héroïnes, si l’on sou­rit aux remarques, pen­sées cocasses, le thème inter­pelle et amène à une pro­fonde réflexion.

serge per­raud

San­tiago Díaz, Talion (Talión), tra­duit de l’espagnol par Karine Loues­don & José María Ruiz-Funes, Cherche midi, coll. “Thril­lers”, mars 2020, 504 p. – 23,00 €.
Ver­sion numé­rique ePub — 13,99 €.

Leave a Comment

Filed under Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>