Un film de Frédéric Rossif qui retrace l’histoire du Ghetto de Varsovie, courte de quelques années, et pourtant interminable
Enseignement d’histoire oblige, on connaît bien Frédéric Rossif, ce grand artisan de la télévision, pour son documentaire magistral De Nüremberg à Nüremberg qu’il termina à la fin des années 80. Il a pris les images de la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il a participé, les a montées d’une manière si fine et limpide qu’on en oublie sa patte, tant et si bien que cette guerre est devenue la sienne, et sans que l’on s’en rende compte, la nôtre. Il a fixé, pour longtemps, dans les consciences des jeunes des collèges et lycées une lecture, une vision et une morale, en faisant ressortir de ces temps très complexes de simples héros à la fois martyrs et vainqueurs, modestes et puissants.
On connaît moins Frédéric Rossif pour Le temps du Ghetto, documentaire plus ancien, plus sombre. Plus noir. Si De Nüremberg à Nüremberg s’achevait sur la lumière et l’espoir qu’une justice internationale puisse sanctionner les crimes contre l’humanité, Le temps du Ghetto s’achève sur la destruction, la mise à néant de tout un quartier, de toute une population — que l’on me pardonne ce dernier terme trop statistique, trop sociologique. Trop froid.
Avant que la fiction ne s’empare résolument du ghetto de Varsovie (Le pianiste), les images étaient là, tournées par les nazis eux-mêmes. Elles suffisent. Il fallait pourtant leur donner du sens. Pour donner justement du sens à un vécu filmé, si authentique et effroyable, il fallait un maître de l’image, du montage. Il fallait un artisan de l’image et du son, capable de mettre de la lumière là où il ne peut y en avoir, et décrire avec décence ce qui a été vécu.
En alternance avec les images mobiles et fixes des ghettos, des témoins, dont les visages à peine éclairés surgissent du noir, expriment leurs souvenirs personnels dans leurs propres mots, racontent la mécanique si puissante de la mort dans le ghetto, par le froid, la faim, la maladie et la violence. La succession des images de petits vieillards de 5 ans, de ces êtres à demi morts, est dure, éprouvante, mais reflète terriblement bien la réalité de ce quartier fermé, surpeuplé et décimé. De toute cette horreur, de cette inhumanité des bourreaux et des victimes, ressort pourtant la beauté d’un regard, d’une conscience, comme une lumière qui frôle ces quelques témoins de l’éphémère. On raconte :
Si la guerre pouvait tenir aussi longtemps que les Juifs tenir le coup, cela serait grave car les juifs peuvent tenir le coup beaucoup plus longtemps que la guerre peut durer.
J’essaye depuis plusieurs jours de trouver les mots pour dire ce film et bien sûr “bouleversant” vient à l’esprit, facilement, d’emblée, mais il est usé jusqu’à la moelle. Alors je préfère cet autre adjectif utilisé par le chroniqueur du Figaro : “redoutable”. Oui, il faut craindre de voir ce film, l’approcher avec précaution, et manier donc les mots avec modestie, essayer de ne pas être un vulgaire marchand de mémoire.
Ce n’est pas une œuvre d’historien, il n’y a pas de processus de recherche au sens universitaire, disciplinaire ; il ne s’agit pas non plus d’émouvoir, de tirer des larmes ; il s’agit plutôt de mettre en forme un document. Il fallait fournir et livrer des images et des sons à une conscience libre, qui ne s’enferme pas dans la mémoire. Cette terrible beauté prend alors une dimension universelle, fondamentale ; la première parole d’un témoin décrit la construction du mur :
… un mur au milieu de la chaussée. C’est amusant, c’est étrange. Un mur au milieu d’une rue, ça ne sert à rien. Cela ne se fait pas.
NB - Le DVD est accompagné d’un livret de 36 pages signé Georges Bensoussan, professeur d’histoire, rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah et auteur de plusieurs ouvrages consacrés au sujet.
camille aranyossy
Frédéric Rossif, Le temps du Ghetto (1961), Editions Montparnasse vidéo, mars 2008, 79 mn — 20,00 €.
Informations techniques : Format image original 1.33 Noir et blanc — Son Dolby digital — Mono PAL — Zone 2 — DVD 9. Avec un livret de 36 pages de Georges Bensoussan.
![]() |
||
P.S Frédéric Rossif, Le temps du Ghetto (1961), Editions Montparnasse vidéo, mars 2008, 79 mn — 20,00 €. |