Monique Frydman, Le Temps de peindre

Poly­pho­nie des cou­leurs et des matières

Ce gros volume réunit les car­nets “de création“de  Monique Fryd­man ainsi que ses textes et entre­tiens de 1970 à nos jours.  Le tout enri­chi de cahiers ico­no­gra­phiques impor­tants.
Un tel cor­pus illustre com­bien l’artiste ico­no­claste a tou­jours « ratio­na­li­ser par la parole » ce qui advient dans sa pein­ture et ce qui se passe dans la peinture.

Cela est d’autant plus utile chez une créa­trice pour qui, d’une part, les ques­tions du hasard, de l’aléatoire, de l’accident sont déter­mi­nantes et d’autre part, le lan­gage pic­tu­ral n’a cessé d’évoluer afin de fran­chir divers obs­tacles. Le che­mi­ne­ment de la créa­trice est com­plexe et passe d’abord par un aban­don de la pra­tique plas­tique en 1967 après sa sor­tie des Beaux-Arts.
L’époque est à l’effervescence et Monique Fryd­man s’oriente vers l’activisme mili­tant. Elle revient à la pein­ture après cette période de volon­taire diète créa­trice dans laquelle elle a trouvé ses marques et son iden­tité grâce au  fémi­nisme,  l’exploration de ses ori­gines juives et le trau­ma­tisme de la Shoah.

Appar­te­nant à la géné­ra­tion post­mo­der­niste de la décons­truc­tion radi­cale du tableau pra­ti­quée par le groupe Supports/Surfaces (qui repensa dans les années 1970–1980 les pou­voirs de la pein­ture à par­tir de ses com­po­sants maté­riels et méta­pho­riques), pour une telle plas­ti­cienne le tableau devient une explo­ra­tion de l’épaisseur du plan et de sa valeur de re-présentation.
Par ailleurs, depuis ses pre­mières pein­tures figu­ra­tives et mili­tantes des années 1960 basées sur la néces­sité impé­ra­tive d’affirmer une iden­tité fémi­nine  jusqu’aux papiers de soie muraux col­lés des années 1970, la pré­sence du corps est essen­tielle.  Mais son “jeu” et son rôle évo­luent dans ses grandes pein­tures abs­traites des années 1980. Elle entame alors des tra­vaux à l’aide de ficelles trem­pées dans la couleur.

Dispo­sées au verso de la toile puis dépla­cées elles créent des sus­pens de pein­ture, des­sins, lignes, sur­face, linéa­ments par l’effet de couleur/lumière (héri­tage de Rothko). Le tout dis­pensé par la matière vola­tile du pig­ment pur ou du crayon pas­tel, ou par celle, fluide, de la pein­ture acry­lique. Monique Fryd­man tra­vaille ensuite  par séries de tona­li­tés, cré­pus­cu­laires ou solaires, dont elle éva­lue la masse, la sou­plesse, la vibra­tion dans une expé­ri­men­ta­tion pro­gres­sive de la couleur.

Ce livre impor­tant per­met  de com­prendre — entre autres à tra­vers ses textes de confé­rences — le rôle que pos­sèdent cer­tains créa­teurs sur les avan­cées de la créa­trice : de Cézanne à Rothko, Pol­lock, de Koo­ning, de Matisse, Bon­nard, à Sas­setta, Le Greco et les fresques parié­tales de Las­caux. La stra­té­gie de l’œuvre en  devient plus nette : der­rière les méandres de son par­cours, l’artiste évoque com­ment elle accueille avec admi­ra­tion et recon­nais­sance de telles réfé­rences.
Elles ouvrent l’oeuvre dont l’abstraction n’est pas seule­ment méta­phy­sique ou mys­tique mais une manière char­nelle d’envisager la poly­pho­nie des cou­leurs et des matières dans un tra­vail où les notions de figu­ra­tion, d’abstraction, la maté­ria­lité de la pein­ture  sont revi­si­tées de fond en comble.

jean-paul gavard-perret

Monique Fryd­man, Le Temps de peindre — Car­nets d’atelier 1975–1990. Textes 1979–2000. Entre­tiens 1984–2014, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2020, 532 p.

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