Le Cinéma de Fernand Deligny

Loin de l’hommage for­maté ou du cata­logue, ce cof­fret ouvre les pistes pour décou­vrir le cinéma de Fer­nand Deligny

Dans les Cévennes, un jeune homme, assis dans les herbes, tente de renouer les fils d’une corde bri­sée. Il s’énerve, jette les ficelles par terre, puis rées­saye de nou­veau. Yves est le héros, prin­ci­pal sujet et objet du moindre geste : film-phare, film-rampe de ce cof­fret consa­cré à Fer­nand Deli­gny. L’objectif était d’inciter Yves à faire des gestes qu’il ne fai­sait pas d’habitude : comme gra­vir une pente, tendre la main, faire des nœuds.… En ouvrant ainsi l’espace à un débile, un “machin”, en lui don­nant l’occasion de “jouer” et de “faire” dans un film, Fer­nand Deli­gny s’est ouvert, comme par un acci­dent, les portes du cinéma. Sou­tenu par Chris Mar­ker, le film est pré­senté à Cannes en 1971.

En par­tant d’une expé­rience pra­tique et concrète, au contact des enfants aujourd’hui dési­gnés comme autistes, à l’époque “débiles pro­fonds”, Fer­nand Deli­gny s’est accro­ché au lan­gage, aux images. Il s’agissait dans les années 60 d’ouvrir l’espace à des êtres enfer­més, de sor­tir les fous des asiles. Le mot asile, lui-même, est d’une trou­blante poly­sé­mie, comme il le fait remar­quer lors d’un entre­tien. Mais pas­ser des centres fer­més de Lille ou de la ban­lieue pari­sienne aux espaces d’accueil ouverts des Cévennes, ne suf­fit pas : car au-delà de l’espace libre, il y a le lan­gage, grille encore plus ter­rible pour ceux qui n’y ont pas accès. Le lan­gage : ter­rible struc­ture, essen­tielle et obsé­dante pour Deli­gny. Lan­gage, langue, gestes et signes : tout est là ; l’essence même du cinéma.

Bien sûr Deli­gny est d’abord un péda­gogue, hété­ro­doxe et liber­taire au sens pur. Il a accom­pa­gné, observé et pensé la dif­fé­rence psy­chique et sociale des enfants cri­mi­nels et des fous. Il a beau­coup écrit. Comme il le dit lui-même, il est le fruit de son époque, et bien sûr son approche à la fin des années 1980 était déjà d’un autre temps. Le mérite de ce cof­fret, loin de l’hommage ou du cata­logue est d’offrir de manière conden­sée et cohé­rente l’ensemble des pistes, des pro­jets et des démarches de cinéma propres à Deli­gny. On y trouve donc le cinéma de Deli­gny, un peu, mais aussi celui de Renaud Vic­tor, qui a tourné en sym­biose avec lui Ce gamin, là pro­duit par Fran­çois Truf­faut et Fer­nand Deli­gny, à pro­pos d’un film à faire. Dans ce der­nier docu­men­taire, Deli­gny pré­sente le pro­jet d’un film : Toit d’asile. Pre­mière image et pre­mier mot :un radeau.

Le cinéma de Fer­nand Deli­gny fonc­tionne comme un voyage, mais un voyage exi­geant, guère repo­sant, une épreuve. On peut voya­ger pen­dant long­temps, par­cou­rir la terre entière et pour­tant res­ter à sa place, confor­ta­ble­ment assis. Là, c’est le dépla­ce­ment total, fra­gile, modeste et pré­caire. Pas de pitié, ni d’étude cli­nique. Il ne s’agit ni d’observer de loin, ni d’ausculter ces autres, ces fous, les autistes, les déviants… il s’agit plu­tôt d’accompagner, par l’image et le son ceux qui sont dépla­cés en per­ma­nence. On se pro­mène avec eux, on accom­pagne Yves sur les che­mins de tra­verse rocailleux des Cévennes. Pas ques­tion de prendre sa place le temps d’un film, car il est impos­sible de fil­mer comme un fou, non, il suf­fit d’être avec, d’accueillir. Cette logique de l’accompagnement imprègne le cinéma de Deli­gny. On aime­rait le qua­li­fier d’humaniste, mais c’est un terme qu’il désa­voue­rait sûre­ment, car un peu fourre-tout et rouillé par la langue. Cette langue, dont il se méfie tel­le­ment. On le voit peser cha­cun de ses mots. Comme un pauvre pay­san céve­nol qui ne “gâche pas” mais fait mouche.

Deli­gny n’a pas fondé d’école de cinéma, il était dis­tant, ailleurs, séparé et son œuvre d’images res­semble plu­tôt à un satel­lite, isolé, en péri­phé­rie, qui sonde, explore, repère, éclaire et met en liai­son. Un satel­lite fait-il autre chose que de tis­ser des liens ? Alors pro­fi­tons d’être dans l’espace — des Cévennes — pour reve­nir au moindre geste : véri­table OFNI. C’est en effet un Objet Filmé Non Iden­ti­fié dans tous les sens de l’expression, car l’individu cen­tral, Yves, sujet du film n’entrait dans aucune case préa­la­ble­ment tra­cée et le film lui-même ne res­semble à aucun autre. De la forme, du fond, un cof­fret. La “sep­tième face du dé” s’offre à vous. En trois DVD, pas plus.

 

Le cof­fret contient :

 

DVD 1
Le Moindre Geste
Un film de Fer­nand Deli­gny, Josée Manenti et Jean-Pierre Daniel. (1962–1971 ; 95 min — Noir et blanc)
DVD 2
Rico­chets du Moindre Geste
Avec Any Durand, Jean-Pierre Daniel, Henry Mal­di­ney, Josée Manenti, Jean Oury, Yves Gui­gnard (2007 ; 120 min — Cou­leurs et noir et blanc)
DVD 3
- Ce gamin, là ; un film de Renaud Vic­tor (1975 ; 88 min — Noir et blanc)
Fer­nand Deli­gny, à pro­pos d’un film à faire ; un film de Renaud Vic­tor (1989 ; 67 mn — Noir et blanc)
Pipache et le convoi dans les RocheusesLes Fos­siles ont la vie dure ; deux films d’animation de Jacques Lin, sur scé­na­rii de F. Deli­gny (4 & 6 min — Couleurs)

camille ara­nyossy

Cof­fret 3 DVD Le Cinéma de Fer­nand Deli­gny –For­mat PAL — édi­tions Mont­par­nasse, 6 novembre 2007 — 45,00 €.

Leave a Comment

Filed under DVD / Cinéma, Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>