François-Henri Soulié, Angélus

De l’exploitation de la foi

C’est un serf levé tôt qui découvre un ange aux ailes déployées dans un arbre. Effrayé, il se pros­terne. Comme rien ne se passe, il se redresse et voit une traî­née de sang. L’ange est mort.
À Car­cas­sonne, Rai­mon de Termes a passé la nuit en prières. Il va être adoubé che­va­lier, mais pense à la belle Lucia qu’il a ren­con­trée récem­ment et qui lui a tout offert.
Dans la car­rière de Petra-Talada, Jordi de Cabes­tan sur­veille la pré­pa­ra­tion du bloc de marbre qu’il va sculp­ter pour l’abbaye de Saint-Hilaire, le haut-relief d’un sar­co­phage des­tiné à abri­ter des reliques. Il attend le Boi­teux qui devrait arri­ver du vil­lage avec des hommes pour le trans­port de l’énorme bloc.
Dame Aloïs, une Bonne Femme de Nar­bonne, com­mence sa jour­née au che­vet d’un for­ge­ron mou­rant. Avant de tré­pas­ser, il mur­mure que des anges vont mou­rir… qu’il va les tuer.
Lorsque Jordi arrive à l’abbaye, frère Lluc, un moine convers, se pré­ci­pite pour annon­cer que le Boi­teux est mort. Il a été trouvé fixé à un arbre. Le sire abbé charge le sculp­teur, qui a reçu une for­ma­tion de clerc, d’enquêter sur ce meurtre.
Lors des fêtes qui suivent son adou­be­ment, après un exploit de cava­lier, Rai­mon se fait remar­quer par Pons d’Arsac, l’archevêque de Nar­bonne. Quand le ministre de Dieu lui pro­pose de l’accompagner lorsqu’il repar­tira, Rai­mon exulte, rêvant de gloire. C’est en che­min qu’ils sont pré­ve­nus par un moine de l’abbaye de La Grassa, de la décou­verte d’un homme mort, habillé en ange. Il s’agit du frère de Jordi. L’abbé demande du secours. Pons d’Arsac dépêche Rai­mon. Celui-ci va se trou­ver confronté au meurtre et impli­qué mal­gré lui.
C’est aussi le cas de dame Aloïs quand on lui ramène Enric, son mari griè­ve­ment blessé.

Le choix de ces trois per­son­nages prin­ci­paux donne au roman­cier la pos­si­bi­lité d’enrichir son intrigue avec l’exploration de domaines dif­fé­rents tels que la sculp­ture, le catha­risme et le chris­tia­nisme romain, la vie des abbayes, la che­va­le­rie et le par­cours de nobliaux. Il détaille de façon très pré­cise les domaines abor­dés, que ce soit dans leur pra­tique, dans le dérou­le­ment du quo­ti­dien, dans l’emploi des matières, dans le fonc­tion­ne­ment des ins­ti­tu­tions, dans les théo­ries dog­ma­tiques.
Il décrit, par exemple, la pré­pa­ra­tion d’un haut-relief, l’importance de la lumière sur les formes, les vête­ments, les rap­ports entre les dif­fé­rentes couches sociales.

Le roman­cier dresse une pré­sen­ta­tion éru­dite des concep­tions reli­gieuses, les dis­tin­guos sub­tils entre la reli­gion romaine, la Vraie Foi des Cathares, la concep­tion reli­gieuse des juifs, qui ne sont pas des mécréants aux yeux du pape, celle des musul­mans : “…d’infâmes imi­ta­teurs et cor­rup­teurs des Saintes Écri­tures.
Il pro­pose d’audacieuses argu­ties, joue avec des dia­logues pétillants, mali­cieux, place des argu­ments à la limite de la mau­vaise foi dans la bouche des défen­seurs du catho­li­cisme romain. Le contenu, les tour­nures des paroles de l’archevêque de Nar­bonne font mer­veille dans l’art de finas­ser, dans celui de la phra­séo­lo­gie diplo­ma­tique tout en émet­tant des horreurs.

L’auteur prend le même soin pour cam­per ses per­son­nages, en défi­nir le carac­tère, la psy­cho­lo­gie, racon­ter, à tra­vers leur passé, l’existence quo­ti­dienne de l’époque, en l’an de grâce 1165, en Occi­ta­nie. Henri-François Sou­lié pro­pose un roman puis­sant qui éclaire un chris­tia­nisme vécu de façon dif­fé­rente.
Car le fond du récit tourne autour de la reli­gion omni­pré­sente, écra­sante, acca­blante, étouf­fante à cette période, le fana­tisme. Il assène quelques véri­tés et n’est pas tendre quand il fait dire à un per­son­nage que le meilleur outil de pou­voir reste l’exploitation de la foi.

Le roman­cier avait déjà inté­ressé ses lec­teurs avec la tri­lo­gie co-écrite avec Thierry Bourcy qui se situe en Europe au début du XVIIe siècle, publiée chez 10/18, éga­le­ment avec Ils ont tué Ravaillac ou dans un registre plus léger avec les Aven­tures de Skan­der Cor­saro, une série parue au Masque.
Avec Angé­lus, il offre un livre magni­fique, éru­dit, à l’intrigue retorse qui amène en ten­sion à une chute singulière.

serge per­raud

François-Henri Sou­lié, Angé­lus, Édi­tions 10/18, coll. “Grands détec­tives”, mars 2020, 522 p. – 15,90 €.

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