Que devient le mot “ écrire ” quand le corps et l’esprit s’y engagent ? Les mots peuvent-ils les apprivoiser ? En quel sens le mot “ écrire ” peut-il dévoiler le monde et l’être humain ? Nul ne peut le dire vraiment mais Jacques Flament, dans ses travaux d’écriture et d’édition, l’illustre au nom d’un humanisme qui n’est plus de saison mais dans lequel l’époque que nous vivons doit ou devrait nous inviter à replonger.
Hanté par le peu qu’on est, à savoir une temporalité qui finit mal en général — sauf pour St Lazare… -, il ne laisse pas la fin de partie s’accomplir sans lui. Il oppose une énergie vitale. Bref, Jacques Flament reste un battant lucide et sans illusions (ou pas beaucoup) mais battant tout de même. Aller sur le site de ses éditions suffit à s’en convaincre.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Un besoin impérieux de création et de profiter au maximum du miracle d’exister.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les réalise tant que je le peux dans le temps imparti (bien trop court).
A quoi avez-vous renoncé ?
Aux rêves d’enfants que je n’ai pu réaliser tant que je le pouvais dans le temps imparti (bien trop court), pour une sombre histoire de vieillesse et d’incapacité du corps à répondre comme avant aux désirs avoués.
D’où venez-vous ?
D’un miracle (voir ci-dessus).
Qu’avez-vous reçu en “dot” ?
Peu de choses, si ce n’est la capacité à me révolter contre ce presque rien et à en sortir par le haut.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Privilégier durant quelques heures par jour le physique (marcher/courir) pour régénérer l’intellect (pas simple en ce moment).
Qu’est-ce qui vous distingue des autres éditeurs ?
Mon inébranlable foi en ce que je fais, et ma capacité à transformer les mauvaises nouvelles (et Dieu sait si l’on a des déceptions dans ce métier) en quelque chose de positif malgré tout (au moins s’il ne se vend pas, l’objet papier créé a au moins le mérite d’exister !).
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Le record du monde de Bob Beamon au saut en longueur (8,90 m), lors d’une fin d’après-midi orageuse, en 1968, aux J.O. de Mexico.
Et votre première lecture ?
Pas de souvenir particulier de la réelle première lecture, mais quelques souvenirs marquants parmi les premières qui ont vraiment compté (“Vendredi et les limbes du Pacifique”, “La Vie mode d’emploi”, “Si c’est un homme”)
Quelles musiques écoutez-vous ?
Très éclectique, mais plutôt blues et chanson française de qualité.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“Un homme qui dort” (Perec)
Quel film vous fait pleurer ?
“Nuit et brouillard” (Alain Resnais)
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un homme qui vieillit, et qui ne peut rien contre ce naufrage.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
À ma mère (il y a des gens avec lesquels la parole, les regards et les silences sont plus éloquents que des mots écrits sur un morceau de papier).
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Les Cyclades.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Bashung (musique), Perec (écriture), Frans Krajcberg (art)
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un baiser de mes enfants qui sont tous très loin (Belgique, Floride, Shangai)
Que défendez-vous ?
L’humanisme le plus élémentaire qui a trop tendance à être bafoué dans notre époque soi-disant formidable !
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Certes, et plus souvent qu’on ne le pense ! Mais aussi : « L’amour est la seule force qui peut stopper un homme dans sa chute » (Paul Auster).
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Une réponse qui est ma hantise pour avoir récemment vu la déchéance d’un très proche atteint d’Alzheimer.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Quelle sera votre épitaphe ? Ne cherchez plus, la voici : « Ni Dieu, ni montre ! »
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 6 avril 2020.
C’est un homme dans tous les sens du mot enfin humanité , on aimerait qu’il en reste de nombreux à son image mais ? Merci à lui de continuer à éditer métier difficile s“il en est
Bonjour. J’ai lu quelque part que vous aviez édité le petit guide du voyageur léger, introuvable sur votre site.…pourrais je en savoir plus? Merci
Je ne connaissais Jacques Flament ni comme auteur ni comme éditeur mais les réponses qu’il donne dans cet entretien me le rendent extrêmement sympathique. J’aurai donc plaisir à le lire et à lire ses auteurs.