Croire ou Une question
image ci-dessus : Le Sacrifice d’Isaac (Rembrandt). Huile sur toile, 193 x 133 cm, 1635, musée de l’
Par un hasard fortuit, j’écoutais ce matin des critiques et des universitaires disserter sur Thoreau, auteur que j’aime beaucoup. De leurs conclusions, il apparaît clairement que la démarche de l’écrivain américain est individuelle et transcendante.
C’est pour cela que je n’hésite pas à me pencher sur mon rapport à l’action de croire, action individuelle et transcendante. Car croire m’interroge davantage qu’une adhésion religieuse, même en en gardant une figure haute et unique. Je dis cela aussi parce que mon itinéraire au milieu de ce que je tiens pour véritable n’est pas homogène. Son action s’enracine autant dans des valeurs occidentales qu’orientales.
Par exemple, j’ai tendance à penser que le choix de Nietzsche, qui se projette dans son Zarathoustra, de bannir le mensonge et les hypocrisies sociales et intellectuelles, voire le mal qui se loge dans le cœur humain, est une entreprise de croyance.
Espérer en la force de la philosophie, en son déploiement à l’intérieur de l’être, en une volonté de ne pas compromettre le vrai destin humain dans un aléa sentimental de hasard, mais aboutir à un être humain fait et agi par la vérité, est donc donner sens à la vérité !
Je parlais aussi de la culture orientale. J’ai visité la mystique hindoue, cette force du Soma en sa nourriture spirituelle, en son lait, ou le bouddhisme qui semble correspondre assez à un monothéisme ouvert et accueillant. Au sujet de ces mystiques orientales, j’ai surtout rêvé du taoïsme chinois et ceci depuis très longtemps.
J’ai conservé mon édition de Lao Tseu acquise au sortir de l’enfance quasiment, et je m’en suis imprégné durablement. Ainsi, j’ai pu réfléchir au non-être, au non-agir, à la voie du milieu (épithètes qui méritent peut-être des majuscules). Autant d’intrigues donc qui m’ont traversé profondément.
Sinon, en regard de ma génération, j’avancerais l’idée que l’idéal punk et sa proposition centrale du no future, y compris dans son pessimisme, son désespoir total, aboutissent eux aussi à une forme de vérité, de croyance en la révélation du secret de l’être. Car abolir est une démarche mystique. On n’existe qu’au présent. Individuellement. Et autant du point de vue politique, qu’idéologique, moral, et pour finir qui sait ? religieux.
Le no future est d’abord une position morale. Ouverte explicitement à la mort, à l’angoisse. No future compris comme un existentialisme de la pure existence, de l’exaltation des forces intérieures, de la puissance primitive de toute pulsion vitale, fût-elle sans lendemain, ou justement parce que sans lendemain. Mais comment juger de soi sans souffrir ?
Je sais que j’abuse des formes logiques et que j’accomplis une lecture peu orthodoxe de cette profonde détresse que la jeunesse des années 80 expérimentait crûment, en vivant de plein fouet les possibles et surtout les impossibilités de cette transcendance qui, malgré tout, sauve, et qui peut être considérée comme un salut.
Car personnellement je ne trouvais pas dans la société de mon époque, les réponses que me promettaient les slogans de la cold wave ou du punk. Mon temps était irrémédiablement pourri. Ces perspectives, je les formulais comme à voix basse, où la dernière possibilité, la seule fenêtre vers l’être et la plénitude ontologique, ne passaient que par l’accumulation en moi d’une espèce de dépôt organique, de vivacité d’esprit, de croyance exacte en ce qu’alors je désignais par le « non-être », le « non-agir ». Donc, au milieu de ce mélange étrange et improbable, j’ai trouvé quelque chose.
D’ailleurs, cet abus conceptuel – qui m’a sans doute prémuni – je peux l’étendre à la mort de Dieu, mort qu’envisage Zarathoustra comme seule fin. À mes yeux, cette fin s’achève en elle-même, elle ne représente que l’état des choses qui tanguent du néant à l’infini. Il s’agit de la valeur profonde que l’on attache à une foi qui fait la foi, à la valeur profonde que l’on a de l’espérance qui fait l’espérance.
J’ai probablement un peu de Nietzsche en moi, ou au moins un peu de ses compagnons de la grotte où le grand mage de la philosophie, attend et consigne quelques-uns de ses proches – qui au reste, sont admis sous caution.
Voir le siècle nouveau que nous vivons, ne me fait pas peur. Il est par essence ce qu’on peut en faire – dût-il être une apocalypse de l’homme en sa propre personne, sa combustion.
Croire est de cet acabit.
Didier Ayres
Bonjour, M. Didier Ayres,
Je n’ai guère de “cu!ture” phi!osophique — p!utôt un brico!age animiste dérai!!é et participatif, voire bâtard — mais j’ai !‘intuition que votre transcendance est immanente, organique, se!on votre propre épithète, aux antipodes d’une quête de vérité, à moins que ce!!e-ci soit un concentré de ver de terre, ce grand aérateur de notre menue p!anète. Je ne ris pas : je ne dispose pas suffisamment d’outi!s pour me gausser. Notre deui! du rée! par !e verbe jamais assouvi a des chances d’être sou!agé par ces dérapages verbaux, qui sait, en ce qu’i!s font va!dinguer ai!!eurs, au-dehors de nous-même, !ibérant des poches d’air vierge propices à !a possibi!ité d’être autre chose que soi-même, de rejoindre !es amibes ou !es protozoères. Et dieu nous semb!e être !‘interdit abso!u de cette !iberté de traverser !es membranes des mondes. I! est !a !oi — qui ne !ègue pas que de jo!ies faïences, mais aussi des fai!!es où pourrissent des instincts pervers. Veui!!ez m’excuser de cette intrusion en Béotie mais je n’ai pas honte d’être idiote, ça me rafraîchit un peu en ces temps de surchauffe. Merci à Jean-Pau! Gavard-Perret d’avoir partagé ici votre texte. Tristan Fe!ix, dont !a croissance s’est arrêtée à 4 ans et demi.
il y a évidemment une veine cocasse dans tout raisonnement, et cela soulage en ces heures confuses de partager un peu de l’absurdité de notre condition; donc, merci pour ces quelques lignes; au plaisir; da.