Sir Thomas Browne, Sur les rêves

Prodromes de l’inconscient

Esprit très éclec­tique, Tho­mas Browne se pas­sionna pour la méde­cine comme pour l’archéologie. Homme très reli­gieux, il offrit un exemple quasi unique de tolé­rance, en dépit de ses prises de posi­tion très affir­mées.
Né à Londres en 1605, il étu­dia les Lettres à Oxford mais son goût le por­tait vers la méde­cine et il alla l’étudier en France à la pres­ti­gieuse faculté de méde­cine de Mont­pel­lier. Il y décou­vrit le vita­lisme selon lequel un prin­cipe, indé­pen­dant de l’âme, donne vie, mou­ve­ment et cha­leur à la matière vivante et donc au corps humain tout entier.

Il part ensuite à Padoue étu­dier chi­rur­gie et ana­to­mie puis à l’université de Leyde pour apprendre la chi­mie nais­sante et devient doc­teur en Angle­terre où il s’installa près de Hali­fax puis à Nor­wich.
Tho­mas Browne com­mence des ouvrages impor­tants : son fameux Reli­gio Medici et Les urnes funé­raires mais aussi d’étranges essais mar­qués par l’alchimie dont celui-ci qui donne aux rêves une dimen­sion inédite

L’auteur com­prend que, dans l’activité oni­rique, le corps ne tombe pas hors de lui. Et s’il ne devine pas l’aspect éro­tique du rêve, il en sou­ligne une dimen­sion tra­gique. Le tout à tra­vers des images qui  auto-étreignent dans l’inconscient. Certes, il n’appelle pas encore ainsi ce der­nier mais il com­prend que cela a un nom : c’est l’existence.
Dans la fer­me­ture en fondu dans la “lumière” de la nuit, le corps se montre en se déro­bant à lui-même. Par ce retrait, l’auteur pressent que toute pos­ses­sion est men­songe. Ce faux départ dans ce qui sem­blait un “simple som­meil”, se dresse comme un geste appe­lant à trom­per le désir. L’auteur renifle l’existence d’un mys­tère dans la cir­cu­la­tion d’images aux­quelles il accorde une sorte de hauteur.

C’est pour­quoi Lar­baud, Bre­ton et les sur­réa­listes allait le redé­cou­vrir. Grâce à lui, Bre­ton pourra écrire ” Tout est près. Les pires condi­tions maté­rielles sont excel­lentes. Les bois sont blancs ou noirs. On ne dor­mira jamais.” Et si, écrit Tho­mas Browne “Nous pas­sons la moi­tié de nos jours dans l’ombre de la terre ; et le frère de la mort nous arrache le tiers de notre vie.” Dans ce “rapt” se laissent “aper­ce­voir des visions et des objets ima­gi­naires où nous avouons qu’ils nous trompent.”

Ecri­vain très élé­gant, sou­cieux de ses effets rhé­to­riques et ryth­miques, atten­tif à l’équilibre et à l’architecture de ses phrases, l’auteur ne négli­gea rien non plus pour mettre en valeur son savoir et ses intui­tions.
Il estime que “le jour nous four­nit de véri­tés, la nuit d’imaginations et de men­songes” mais il éprouve com­ment dans cette acti­vité, après l’activité diurne qui demande tant d’effort, cha­cun se laisse empor­ter par ce som­meil “dans un état où les têtes les plus solides ont pro­duit tout ce qu’a de mons­trueux la mélan­co­lie, et qui lorsqu’on ouvre les yeux n’est rien de plus qu’absurdité et démence.”

Bref, l’auteur annonce ce que Freud décou­vrira en trans­for­mant ce que l’Anglais énon­çait : ce qui est pris  pour folie rede­vient une néces­sité vitale et une sagesse des plus conséquentes.

jean-paul gavard-perret

Sir Tho­mas Browne, Sur les rêves, tra­duc­tion de Domi­nique Aury. Fata Mor­gana, Font­froide le Haut, 1994, 32 p.

2 Comments

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2 Responses to Sir Thomas Browne, Sur les rêves

  1. Anne Marie Carreira

    Très inter­es­sant article!

  2. Anne Marie Carreira

    Très inter­es­sant article!

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