Un aspect peu riant de la Thaïlande
Avec un sujet assez banal, les voyages de jeunes gens qui souhaitent découvrir une partie de la planète avant de s’engager, soit dans des études longues, soit dans la vie professionnelle, Fiona Barton tisse un récit complexe et d’une grande intensité.
À trois heures du matin, Kate est réveillée. Jake, son aîné, s’excuse d’avoir raté son anniversaire. Cela faisait sept mois qu’il n’avait pas appelé. Brillant élève, il a décidé brusquement, il y a deux ans, de partir à la recherche de lui-même en Asie du Sud-Est.
Lesley O’Connor est terriblement inquiète. Cela fait une semaine qu’Alex, sa fille, n’a pas donné de nouvelles. Elle devait appeler depuis Bangkok pour les résultats du Bac. Alex est partie, pour quelques mois, avec Rosie Shaw, son amie.
Kate, une petite cinquantaine, est journaliste au Daily Post, le quotidien de Winchester. En ce 15 août 2014, il ne se passe pas grand-chose. À la recherche d’un sujet, elle contacte l’inspecteur Bob Sparkes. Il lui indique un appel relatif à deux jeunes filles, parties en Thaïlande, qui ne donnent plus signe de vie.
À Bangkok, quelques jours plus tôt, le voyage de rêve commence mal pour les deux filles. Alex ne trouve pas la pension retenue et elles s’installent dans une auberge de jeunesse peu reluisante. Elle ne s’entend pas bien avec Rosie. Elle ne devait pas partir avec elle. Le changement a eu lieu presque au dernier moment quand son amie s’est désistée. Rosie, au collège, ayant eu vent de la situation, s’est invitée.
Kate, avec Joe l’apprenti journaliste dont elle a la charge, rencontre les familles, questionne, enquête, écrit des articles. Parallèlement, les réseaux sociaux sont activés… sans résultats. Les découvertes alarmantes se succèdent. Et “la foudre” tombe sur Kate…
Ce sont les mères qui sont en vedette, les véritables héroïnes du roman. Les hommes sont discrets, effacés ou absents que ce soit le père de Jack, celui d’Alex ou de Rosie. Ce dernier est même parti fonder une nouvelle famille.
À petites touches précises, incisives, la romancière construit les relations entre ses personnages. Elle développe des comportements, des rapprochements, des complicités qui pourraient, avec peu de chose, basculer dans des sentiments plus forts.
Elle évoque le poids de l’enfance, le sentiment de rejet, les frustrations, le désir, les drogues, les aventures et l’amour. Elle décrit bien le poids que font porter des parents, de façon souvent involontaire voire inconsciente, à leurs enfants avec les ambitions qu’ils ont pour eux.
Mais, elle décrit la pugnacité de mères vis-à-vis de leur progéniture, cet atavisme, ce besoin de protection qui peut changer les femmes.
La romancière brosse la peinture de la société d’une petite ville du sud de l’Angleterre et, en contre-point, un éclairage sur le quotidien en Thaïlande, à Bangkok dans certains milieux.
Fiona Barton s’est documentée aux meilleures sources, allant dans les ruelles glauques de Bangkok, se faisant expliquer par des correspondants, des fonctionnaires, les arnaques aux touristes.
Après La Veuve (2017), La Coupure (2018), Les Éditions Fleuve noir donnent à lire un roman puissant, à l’intrigue subtile qui interpelle, portée par une galerie de protagonistes magnifiquement campés.
serge perraud
Fiona Barton, Le Suspect (The Suspect), traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Séverine Quelet, Fleuve noir, coll. “Thriller”, janvier 2020, 504 p. – 20,90 €.