Didier Ayres, L’Angoisse ou L’Imprécision

L’Angoisse ou L’Imprécision

Je sais beau­coup de choses sur l’angoisse. Mais, là où elle abou­tit, ce qu’elle anéan­tit, me reste trouble. J’ai connu des crises d’angoisse telles, qu’elles n’avaient qu’à détruire mon être psy­cho­lo­gique, pour abou­tir à une déso­la­tion com­plète, un désert, la fin du temps en un sens. Ainsi, je sais son pou­voir.
C’est une flèche en soi qui se retourne et atteint la sen­si­bi­lité de l’être, bru­ta­lité ou vio­lence contre soi-même, sans pro­fit, à mettre au rang du mal. En ce sens, l’angoisse est plus solide que vola­tile. Plus pierre que fluide. J’en ai pour preuve cette pres­sion, cette oppres­sion au niveau du plexus solaire, comme choc intra­dui­sible, sans recon­nais­sance, pesan­teur sans contour.

L’angoisse n’est pas forme mais tota­lité. Ainsi, on accepte sa plu­ri­vo­cité, sa nature oppor­tu­niste, la dési­gna­tion sou­daine qu’elle opère sou­vent en soi. Et si l’on peut faire d’elle un seuil, une porte devant le néant, sa nui­sance reste floue, aléa­toire, fai­sant feu de tout, pro­pre­ment nou­velle tou­jours, jamais recon­nue, tou­jours insi­dieuse et sans fina­lité.
Sans forme, sans contour, sans but, elle est neuve et pure de tout agré­gat. Elle existe parce qu’augmentée du réseau ner­veux, du jeu des synapses qui reste sans expli­ca­tions, venant de l’inconscient, de la syn­taxe ou du syn­tagme « souf­frir ». Là elle consti­tue un sen­ti­ment opaque, vivant, en quelque sorte, ner­vo­sité, pré­sence, adé­qua­tion à Tha­na­tos, figure de la mort, pré­cog­ni­tion de l’au-delà sans doute.

Dès mes années de col­lège, je com­pre­nais par­fai­te­ment pour­quoi ma pro­fes­seure de lettres nous ensei­gnait que l’angoisse se méta­pho­ri­sait en une sorte de cou­vercle, d’éteignoir, de vase clos, d’un abîme ici poé­tique condui­sant Bau­de­laire à qua­li­fier cette drôle d’ivresse de souf­frir.
Mon angoisse aujourd’hui ne vient plus que par brèves bouf­fées sèches, âpres, qui ne me détruisent plus. Elle en va par­fois jusqu’à m’aider à réflé­chir, à remettre en ques­tion un sujet sur lequel elle s’attarde. Elle est deve­nue une amie. Amie certes capi­teuse, pleine de dan­ger, nua­geuse, gazeuse, davan­tage effluve que poids, agran­dis­sant par­fois mon champ de perception.

Amie de l’augure, où je me sais tou­jours mortel.

Didier Ayres

2 Comments

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2 Responses to Didier Ayres, L’Angoisse ou L’Imprécision

  1. Robert Sentieys

    Remar­quable. Pré­cis comme une ana­lyse, le récit d’un com­bat ! Merci, RS

    • Didier AYRES

      oui, et cette lutte nous enjambe, nous dépasse en un sens; mais il reste vrai que c’est lutte; je pense à la méta­mor­phose de kafka, où ce com­bat montre la drôle de puis­sance de l’angoisse la plus pro­fonde; à bien­tôt, roberto
      da.

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