Discussion sur le sommeil
image ci-dessus: Goya, Le sommeil de la raison produit des monstres, 1799, détail.
Je voudrais évoquer en quelques lignes en quoi le sommeil m’est une région, si je puis dire, qui me définit, m’occupe et me traverse tant, que j’ai recours souvent à son évocation. D’ailleurs, un ami qui illustre parfois de petits poèmes ou de courts recueils en guise de livres d’artiste, s’était enquis il y a longtemps de cette présence réitérée du sommeil dans mes pages.
C’est ainsi que j’ai pris conscience de l’importance de cet engourdissement, de ce lieu ambigu où l’écriture cherche une apesanteur, un souffle. Donc, un enjeu.
Car, dès qu’il faut évoquer comment on se dédouble en dormant – croyant que l’activité d’écrire demande un dédoublement, où l’on doit se porter témoin de quelque chose qui est agi par sa saisie, et qui oblige à une double distance, en soi et dans la page – on voit l’importance de cette perte de conscience passagère.
Celle-ci débouche parfois sur le rêve – et j’en connais l’impact pour le psychanalysé que j’ai été – ou au moins sur un temps d’absence réelle qui n’a de réalité que dans la veille, ce qui dit son caractère élusif.
Il y a dès lors peut-être un sentiment de mort au milieu de cette jouissance – dormir étant un synonyme du désir de perdre le contrôle, de se défaire de façon temporaire de la raison, et de tout ce qui domine notre vie d’homme éveillé. Donc, jouir d’une renaissance. Revenir toujours à ce basculement, ce point de rupture – qui nous habitue, qui sait ?, à savoir mourir.
Vivre quelque chose de surnaturel, d’énigmatique et reculer jusqu’au plus grand archaïsme de l’au-delà ou de l’en-deçà du naître et du mourir. Cela en direction d’un endroit où l’on peut sciemment oublier les conventions, ne plus penser, ne plus raisonner, se trouver dans des régions souterraines, et cela grâce à ce vêtement souvent nocturne qui place notre existence dans le rien, le vide du sommeil.
Le repos bien sûr s’avère biologiquement nécessaire. Et l’action du corps consent à cette suspension. Cette interruption favorise la perte de conscience, cette impression factice d’oubli, de paix en un sens.
Par contraste, raisonner n’offre pas la paix qu’octroie cette léthargie. Est-ce applicable à toute action littéraire, où perdre son corps permet l’écriture ?
Ou alors, considérant la vie spirituelle, il semble qu’elle aussi s’adresse à l’absence, vise un aperçu, cherche un monde de pur esprit, de pure parole, d’oubli de toute corporéité.
Sorte de danse immobile dans la nuit des dieux.
Didier Ayres