A l’heure où des abbesses douteuses — dont le feu du corps étouffe sous la bure — courbent peut-être la tête en s’égarant dans les jeux d’un cierge, Cyril Huot tel un baladin flambe dans le bûcher de son héroïne.
Il en retrace les étapes douloureuses et érotiques inspirées des confessions intimes d’une jeune sainte, morte des souffrances tant physiques que mentales de l’amour à l’âge de vingt-cinq ans et qui fut canonisée par l’Église catholique et romaine.
Huot, fidèle à toute une tradition, rappelle combien la religion de l’amour manifestée par un culte violent, et fou de la passion — qu’elle soit d’ordre sacré, spirituel ou charnel, immorale, scandaleuse — est la conséquence d’un désir profond de fusion et d’absolu avec l’objet aimé : “la même voix intérieure qui roulait en lui devait rouler en elle pour y charrier les mêmes mots. Il aurait suffi de lui redire les mots de sa voix intérieure et aussitôt elle les aurait reconnus, ces mots, aussitôt elle aurait su que la même voix parlait en lui comme en elle, qu’elle leur parlait à tous deux d’une même voix » écrit Huot.
Dès lors, “Secret, le silence” est celui d’une femme tombée dans le mutisme, l’anorexie, le retrait telle une sainte. L’homme qui la “dérobe” la libère de la clinique où elle s’enfonce, il l’emmène avec lui, la nourrit, la baigne, la soigne, la farde en un plaisir de plus en plus érotique au moment où la dolente s’offre pour devenir la victime de son protecteur et de l’amour.
La captive ne trouve comme seul ancrage ses ombres et ses failles. L’amour reste à ce titre le contraire d’un leurre ou d’une jouissance. Et le lecteur demeure au bord des déchirements de la dolente. Sa passion n’est pas évasion, il est pure perte et pure dépense dans le sacré. Et la position amoureuse ramène à la clôture. Elle illustre combien, de la condamnée à la sainte, il n’y a qu’un pas, qu’une similitude.
Dans l’amour tel que cette femme le conçoit ne demeure qu’un vertige angoissant puisqu’au sein du passage espéré rien n’est possible. Les mots émis sur le silence mettent en exergue une étrangeté éruptive, un attrait volcanique même s’il n’existe plus de place à ce que permet généralement la littérature : à savoir une jouissance.
Le réel butte contre des murs de l’impossible amour. Ne reste qu’un espace nu : celui de la prison intérieure dans un mouvement capital d’abandon de la “sainte” en ses filets de “sans”. Sa nudité est sacrée par la souillure qu’elle est forcée d’accomplir.
Nous sommes introduits dans une étrange cour du miracle où la femme possède un savoir aussi héraldique que naturel. Celui que Bataille synthétise d’une formule dans Mme Edwarda : ” la nudité du bordel appelle le couteau du boucher”. L’homme ne peut se soustraire à sa “vocation” de viandard. Son plaisir est donc articulé sur la mort.
Dès lors ce que l’amour promet dans l’ordre de la fête selon les standards admis est suspendu : Huot impose une complicité ascétique avec une forme de “carnage” auquel la Sainte est soumise, malgré elle, comme en dépit de son sauveur.
L’auteur change donc le rituel passionnel, l’excède, le dissémine. L’héroïne saute dans un creux, un précipice.
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jean-paul gavard-perret
Cyril Huot, Secret, le silence, éditions Tinbad, coll. Tinbad-roman, Paris, 2020 — 18,00 €.